Apprécié pour son flow tranchant et ses rimes assassines, Sinik n'a pas manqué de faire parler de lui avec son premier album. Après ce long format préparé avec grand soin avec Six-O-Nine, "Malsain L'Assassin" part aujourd'hui pour un "INDEpendance Tour" aux côtés de Tandem et L'Skadrille. L'occasion d'en savoir plus sur la création de 'La Main sur le Cœur'...

Site Web : www.sinik609.com


Quand on connaît ton parcours, le succès de ton album est finalement la suite logique ?

Je savais quand j’ai commencé à rapper qu’il y avait un parcours à avoir, que je ne sortirais pas un album de suite. Je pense qu’il y a des gens qui grillent les étapes et qui se grillent eux-mêmes. Je pense que j’ai su prendre mon temps. J’ai sorti un maxi vinyl, un maxi CD, une mix-tape CD et ensuite j’ai enchaîné sur l’album. J’ai quand même un petit passé rapologique derrière moi. Il y a les gens qui sont là depuis le début, ceux qui sont venus en cours de route, ceux qui m’ont découvert quand l’album est sorti. Ce sont tous des gens que je retrouve en concert et c’est toujours un plaisir.

Parles-nous de " L’Assassin" qu’on retrouve en bonus sur l’album. C’est un morceau qui rappelle que tu t’es fais remarquer pour tes talents de Battle MC à tes débuts ?

C’est un condensé de phases que j’ai sorti en battle. Comme j’ai arrêté d’en faire je voulais boucler la boucle et j’en ai fait un morceau. Je ne fais plus de battles parce que sincèrement je n’ai plus le temps. Ça demande pas mal de préparation. Il faut savoir que je ne faisais pas d’impros, c’était vraiment des textes préparés, écrits à l’avance. Cette dernière année je me suis concentré sur l’album donc j’ai un peu mis ça de côté. J’ai eu pas mal de propositions mais je n’ai pas pu les accepter parce que ma priorité c’était l’album. Je pourrais en refaire plus tard quand j’aurais plus de temps pour préparer ça.

Que penses-tu des clashs sur disque ?

Je ne suis pas un grand fan des clashs sur disque. Le rap n’en a pas forcément besoin, ça ne fait pas avancer les choses dans le bon sens. C’est plus pour se faire un buzz qu’autre chose, donc je ne pense pas que ça soit une bonne chose en soi. Par contre j’encourage les gens à faire des "vrais" clashs.

Venons-en à l’album. ‘La Main sur le Cœur’ est assez "Sombre"…

C’est moi qui voulais lui donner cette couleur, elle reflète bien ma musique. Je savais que l’album allait être dans cette tonalité…

Comment as-tu choisi les différents producteurs qui participent à l’album ?

Skread est rentré en contact avec mes managers. Il nous a fait écouter des sons et on a choisi un, ça s’est fait assez classiquement. SR Prod est un mec des Ulis que je connais depuis un certain temps mais c’est la première fois que je travaillais avec lui. Enterprise est un collectif de Lyon assez dynamique qu’on a rencontré avec ‘En attendant l’album’. Saïd des Mureaux nous a envoyé un son qu’on a kiffé, XLR c’est par l’intermédiaire de Diam’s. J’avais posé sur la mix-tape de Dj Flow et c’est comme ça que j’ai eu la chance de le rencontrer. Banque de Sons, je les connais depuis mes premiers maxis, Zoxea m’a fait un son, Systematik aussi…

De quelle manière êtes-vous organisé au sein de Six-O-Nine ?

On fait tout à trois avec Karim et Nabil. La sélection des instrus, des thèmes... En studio on se complète. Ils sont là pour la réalisation, le mix. C’est un travail qu’on se partage équitablement et je pense que le résultat n’est pas mauvais. On a essayé de travailler morceau par morceau. On ne voulait pas faire une palette de 30 ou 40 morceaux et choisir ensuite. Nous avons toujours fonctionné de la même manière. Nous trouvons le thème, ensuite le son. On enregistre et si le morceau est bon on le garde. Nous n’avons jamais eu l’habitude d’amasser les morceaux et de sélectionner à la fin. Je pense que c’est une manière de travailler plus pour pas grand-chose. Nous on se concentre vraiment sur le thème, le plus dur c’est la sélection. Après, on a fait plus que quinze morceaux, nous avons du en enlever trois parce qu’ils ne rentraient pas dans le concept de l’album...

Un des thèmes de l’album c’est la prison avec notamment "D.3.32". Est-ce que tu l’as retouché après l'avoir écrit ? Il y a des passages qui sont un peu en contradiction avec ce que tu dis sur "Pardonnez moi" ?

Je l’ai écrit en prison et je l’ai posé brut, comme je l’avais écrit en cellule. J’ai écrit ce texte mi-2002, "Pardonnez moi" a été écrit fin 2004, il y a presque deux ans et demi d’écart. C’est une manière de dire que j’ai évolué au fil de l’album. C’est pour ça que j’aime bien ce morceau, parce qu’il est contrasté par rapport aux autres.

Zoxea fait d’ailleurs une apparition étonnante sur "Pardonnez moi"…

C’est ce qui donne un plus au morceau. Il n’intervient que sur le refrain ce qui est pour moi une grosse preuve de modestie. C’est vraiment une démarche artistique de juste vouloir faire le refrain. C’est à son image, ce n’est pas surprenant pour ceux qui le connaissent…

Un autre morceau qui parle de la prison c’est "Le Même Sang" avec Diam’s ?

C’est un thème qu’on voulait aborder depuis longtemps. Ça faisait au moins deux ans qu’on avait ce thème en tête. L’album a été le bon moment de le travailler et je pense qu’on est tous assez contents du morceau.

Tu viens de tourner le clip de ce morceau ainsi que celui de "Cœur de Pierre". A quoi ressemblent-ils ? A quel niveau as-tu été impliqué dans leur conception ?

Le clip avec Mélanie décrit l’univers carcéral avec une ambiance prison, un parloir, une cellule, des couloirs très sombres. Dans le clip "Cœur de Pierre" je suis dans une cave en parpaings qui se cassent au fur et à mesure que j’écris mon texte. Les murs s’effilochent, tombent et à la fin c’est une libération pour moi. J’aime bien le synopsis de ce clip. Je laisse faire [les réalisateurs] mais je m’investis beaucoup le jour même, je trouve les idées qui manquaient. Par exemple c’est un détail, mais quand tu verras le clip de "Cœur de Pierre", tu remarqueras que la chanteuse Seyve tient un micro qui pend. Ce n’était pas prévu, il a fallu penser à trouver un micro qu’elle puisse tenir. Ce sont des petits détails que nous avons choisis.

Pourquoi avoir choisi de parler des attentats du 11 septembre avec une fiction ?

Si tu écoutes mes textes depuis le 11 septembre tu peux voir que ça m’a vachement inspiré pour des phases. Là je voulais en faire un morceau pour donner mon opinion sans non plus prendre parti pour les Irakiens ou les Américains. Mais je voulais dire ce que j’en pense donc je me suis mis dans la peau de ces personnages.

Est-ce ce qu’on retrouvera du story-telling sur ton prochain album ?

C’est possible. Il est déjà en préparation pour être franc avec toi.

Sur "100 Mesures de Haine" tu dis que "rapper devient une thérapie". Est-ce que tu te vois continuer à rapper quand ça ira mieux ?

Je pense que oui mais je rapperais sûrement différemment parce que j’aurais peut-être d’autres choses à dire. Mais le fond restera toujours le même. Après c’est clair qu’il ne faut pas mentir aux gens et que si ça va mieux pour moi je n’hésiterais pas à le faire savoir. Je ne me vois pas non plus rapper jusqu’à un certain âge. Mais disons que je pourrais quand même rapper si du jour au lendemain ma vie devenait plus calme. Mais ce n’est pas encore le cas. Il faut savoir que le rap c’est bien mais ce n’est pas un fin en soi. Ce n’est pas ça qui t’arrange tout, qui t’ouvre toutes les portes. Il y a une autre vie derrière, il n’y a pas que la vie du rappeur, il y a la vie du mec qui était là avant.

Racontes-nous la création du "Règlement Extérieur" ?

C’est parti d’un délire que j’avais eu avec mes potes. Un jour dans un hall nous avions écrits des règlements que nous avions appelé les "commandements". J’avais trouvé ça marrant et je m’étais dit qu’un jour je ferais un morceau avec ces valeurs un peu fondamentales. J’apprécie particulièrement ce morceau parce qu’il y a beaucoup de gens qui s’y reconnaissent. Peut-être un peu moins en Suisse, mais en France ce sont des valeurs que les mecs qui ont grandi comme moi dans les quartiers connaissent, ce sont vraiment des choses à savoir. C’est pour ça que je voulais faire ce morceau.

Ce morceau, tout comme "100 Mesures de Haine", est assez représentatif de ta manière de travailler. Il n’a pas de refrain, pas vraiment de couplets…

Je ne formate pas mes morceaux, je les fais comme j’ai envie de les faire. Sur "100 Mesures de Haine" je voulais faire que des punchlines, des phases… c’est ce que j’aime le plus. Il n’y a pas vraiment de thèmes mais un peu de freestyle, des images chocs, tu te fais plaisir, tu laisses parler ton écriture. Je pense qu’il en faut aussi dans un album.

Tu parles du suicide sur "Rue du Paradis" ?

C’est un morceau que j’ai un peu transformé au niveau du thème pour que ça soit plus compréhensible pour l’auditeur. C’est quelque qui m’est arrivé l'été passé avec un de mes cousins qui avait un frère jumeau. C’est de là que j’ai eu l’envie de faire ce morceau. J’ai un peu transformé l’histoire parce que je n’ai pas voulu décrire que ça m’était arrivé par l’intermédiaire de la famille. C’est un morceau que j’ai mis en scène mais c’est quelque chose que j’ai vécu l’été passé, c’est parti de quelque chose de réel.

Je pense  que les gens apprécient la sincérité de tes propos…

C’est une de mes fiertés, toutes les choses dont je parle dans l’album sont des choses que j’ai vécu ou que je connais, à part évidemment "2 Victimes / 1 Coupable", tu te doutes bien que je n’étais pas dans la tour le 11 septembre... C’est la seule "fiction", le reste c’est vraiment du vécu. Comme je te le disais c’est un thérapie, donc c’est quelque chose je ne calcule pas quand j’écris. Les gens aiment se sentir concernés, représentés. Je pense que tout le monde apprécie ce côté sincère. Je n’ai pas besoin de dire que je suis intouchable, qu’on ne pourrait pas me tuer ou que j’ai les plus belles voitures du monde… Je peux aussi douter, c’est ce côté-là que je veux faire passer.

Il y a aussi des titres plus véners comme "Viens" "Men in Block"…

C’est des morceaux qui sont du pur S.I.N.I.K. C’est des morceaux que j’apprécie aussi, ils me représentent bien...

Est-ce qu’il y a un morceau que tu préfères sur ton album ?

J’en ai plusieurs. "Une époque formidable" et "2 Victimes / 1 Coupable" sont ceux que je préfère au niveau de l’écriture. Après au niveau du message c’est plutôt "Rue du Paradis". J’aime aussi bien "100 Mesures de Haine", "Règlement Extérieur" … je les aime tous mais c’est clair que j’ai des petites préférences. Ça change aussi, je t’en citerais peut-être d’autres dans un mois...

Propos recueillis par Equi
Photo: D.R.
Avril 2005