Cie Soul City : fierté dans le sang, la danse comme une transe
mai 28, 2016 (No Comments) by Bongo
En participant à des rituels religieux à La Réunion et à Madagascar, en ramenant des enregistrements de ses immersions mystiques et spirituelles, ou encore en découvrant Les Quatre Accords Toltèques, Didier Boutiana, chorégraphe de la compagnie Soul City, puise la matière de ses spectacles dans un réel pétri de religieux, où la transe n’est jamais loin et le travail… un exutoire.

Interview : Laurent Perrin

soul-cityDes spectacles au festival Leu Tempo, un séjour en Allemagne, des cours pour former de nouvelles recrues… comment ça vit un danseur hip-hop ?

En parallèle des créations, on fait des actions culturelles : on donne des cours de danse, ou des ateliers, souvent liés aux spectacles, aux habitants des quartiers. On propose de la danse house, contemporaine et hip-hop.

Comment organises-tu ton emploi du temps ?

On est le plus ancien crew de la Réunion qui existe encore. Le groupe a été créé en 1996, et a perduré grâce à des générations. J’ai été recruté en 2004. J’ai fait des battles, en solo ou en crew, jusqu’en 2010. J’ai ralenti petit à petit quand je me suis intéressé à la création. D’autant plus quand j’ai pris la direction de la compagnie. Je n’ai pas fait de battle depuis trois ans.

Diriger une compagnie c’est donc prenant…

Oui aujourd’hui je consacre vraiment mon planning à la création, qui me prend beaucoup de temps, entre créer, faire tourner et diriger la compagnie, être avec l’équipe, avoir des réflexions, écrire les projets. Quand je ne danse pas je suis derrière mon ordi, ou alors je dors (rire).

Il y a aussi toute la partie administrative, la fameuse paperasse.

En effet. Je m’occupe principalement de la partie professionnelle de la compagnie. On fait la distinction entre Soul City Crew et Soul City, la compagnie. On a voulu créer notre propre travail. Même si le statut reste associatif, dans la gestion c’est une entreprise. Et dans une entreprise, le directeur doit être là tout le temps !

Pryer si pryerDans Priyèr’ Sï Priyèr c’est l’ardeur du travailleur que j’ai vraiment ressenti… mais aussi le partage et la solidarité face à la difficulté. C’est ça le thème du spectacle ?

Dans toutes mes créations pour la compagnie il y a des notions qui restent. Tel le travail, tu l’as bien vu, le dépassement de soi, la transe, un langage chorégraphique assez violent, un côté mystique, le rapport à l’objet sacré. Ces notions-là, dans toutes mes pièces je les garde, c’est ma base d’écriture. Et après, selon le thème je décline les choses, je dose en pourcentages : plus ou moins de sacré, de combat, etc. selon le propos.

Priyèr Sï Priyèr (prière sur prière) met donc l’accent fort sur le religieux…

Pour ce spectacle je me suis principalement intéressé au rituel, aux rites. Dans mes recherches j’ai été participer à des rituels à La Réunion, que je connaissais déjà mais que je voulais revoir en détail. J’ai été à Madagascar dont nous sommes héritiers de la culture dans notre histoire. Je suis parti à la source : il y a des codes que l’on reprend dans la pièce qui sont inspirés des rituels : les galets, la lampe, les ampoules. Tout est lié à un symbole ou une croyance. Après je détourne les choses, on crée notre propre rituel.

La violence que l’on perçoit en voyant cette pièce, d’où vient-elle ?

Il y a une certaine violence dans le rituel. Dans les cérémonies malbars, les marches sur le feu par exemple, avec des sacrifices, la violence elle est là. On coupe les têtes des cabris ! Il y a une certaine violence qui est présente et je voulais le faire ressentir dans la pièce. Et une certaine dévotion aux choses aussi. Les trois danseurs sont tous dévoués à quelqu’un, ou quelque chose.

HevaSur les deux spectacles pour Leu Tempo festival (Saint-Leu, mai 2016), quels sont les ingrédients que tu as choisis de mettre en avant ?

Le premier raconte l’histoire de Héva, une marronne, c’est à dire une esclave qui s’est échappée. C’est un personnage important à La Réunion, c’est la femme d’Anchaing, un autre esclave célèbre qui a donné son nom à un piton. Dans ce spectacle j’ai voulu imaginer l’enterrement de Héva par ses filles. C’est donc proche du rituel mais ce qui en ressort c’est vraiment la transe. Et surtout le côté abandon ; quand elles dansent, les trois filles ont un mouvement de torsion, elles cherchent à l’intérieur. Dans le rapport entre elles, il n’y a pas de danse contact par exemple.

Et pour le second spectacle, Tir Pa Karte ?

C’est l’histoire de trois mecs – j’ai quelque chose avec ce nombre, c’est un chiffre sacré, la difficulté à créer dans cette composition-là me plait. C’est beaucoup moins religieux, c’est plus militaire, c’est basé sur la confiance, la trahison, l’amitié, tout le rapport humain qu’on peut avoir en un certain laps de temps. Les danseurs traduisent tous les rapports humains qu’on peut avoir avec une personne en quinze minutes : tu trahis, tu es trahi, c’est un ami, c’est un ennemi, il y a la complicité… et un peu d’humour, c’est rare.

Quatre-Accords-ToltèquesQue signifie le titre ?

Ce spectacle est extrait d’une pièce que j’ai écrite en m’inspirant du livre « Les Quatre Accords Toltèques ». Les danseurs me demandent souvent comment faire pour réussir. Je leur répond qu’il faut être motivé et bosser. Et le meilleur moyen de les aider c’est de les faire danser dans une pièce, au lieu de rester sur les ateliers. En parallèle j’ai pris connaissance de ce livre, qui est une moralité pour mieux vivre, et j’ai eu envie de retranscrire ça dans la relation que j’ai avec les jeunes. J’ai créé sur les quatre accords toltèques, quatre petites pièces de quinze minutes.

Auquel des quatre accords toltèques correspond celui-ci ?

Tir Pa Karte correspond au principe « Ne fais pas de supposition ». Ici à La Réunion on joue beaucoup aux cartes, ça peut devenir une obsession, et l’expression signifie « N’essaie pas de deviner », « Tire pas les cartes de ma tête ». C’est Francky Lauret, un comédien avec qui je bosse depuis le début, qui a trouvé le titre. Il m’aide sur les propos de la pièce. Il a écrit des textes qui alimentent ce que je veux dire, je donne à entendre, la langue créole, les expressions. Les fonkers (poèmes créoles) sont tous de lui. Ceux-si sont proches du religieux, des croyances, on est vraiment connectés à ce niveau-là.

La musique occupe elle aussi une place importante dans vos spectacles. Sur Priyèr Sï Priyèr vous avez travaillé avec un compositeur local, Labelle.

C’était une première pour lui et pour moi aussi. C’était la première fois que je collaborais avec un compositeur pour l’une de mes pièces. De son côté, son expérience avec la danse c’était de l’impro, il était acteur sur scène. Les danseurs dansaient en impro sur sa musique. C’était la première fois que quelqu’un lui commandait une vraie bande-son pour un spectacle. On s’est cherché un peu au début de la création. J’avais un peu commencé avec les danseurs, et même encore avant tout seul, à créer, à chercher. Avec Labelle, on s’est retrouvé dans le travail en bossant en parallèle.

Comment avez-vous procédé, était-il présent aux séances de création ?

Il était dans la salle et pendant que je créais, il créait aussi. Le soir il bossait chez lui et le lendemain il peaufinait ce qu’il avait créé sur place. Et après on se voyait hors-répète aussi mais la plus grosse partie du travail c’est du live, presque. Dans la musique ce qui fait le charme pour moi c’est le fait que 80% de la musique c’est de l’enregistrement, réalisés lors des rituels auxquels on a assistés. Tout ce que tu entends, les voix, les cloches, les tambours, ce sont des sons que l’on a nous-même enregistrés. On sort un peu du contexte. Tu ne fais pas le rituel en tant qu’artiste, ça te prend personnellement. On a fait le carême, on allait prier, c’est individuel.

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Cie Soul City : fierté dans le sang, la danse comme une transe
mai 28, 2016 (No Comments) by Bongo
En participant à des rituels religieux à La Réunion et à Madagascar, en ramenant des enregistrements de ses immersions mystiques et spirituelles, ou encore en découvrant Les Quatre Accords Toltèques, Didier Boutiana, chorégraphe de la compagnie Soul City, puise la matière de ses spectacles dans un réel pétri de religieux, où la transe n’est jamais loin et le travail… un exutoire.

Interview : Laurent Perrin

soul-cityDes spectacles au festival Leu Tempo, un séjour en Allemagne, des cours pour former de nouvelles recrues… comment ça vit un danseur hip-hop ?

En parallèle des créations, on fait des actions culturelles : on donne des cours de danse, ou des ateliers, souvent liés aux spectacles, aux habitants des quartiers. On propose de la danse house, contemporaine et hip-hop.

Comment organises-tu ton emploi du temps ?

On est le plus ancien crew de la Réunion qui existe encore. Le groupe a été créé en 1996, et a perduré grâce à des générations. J’ai été recruté en 2004. J’ai fait des battles, en solo ou en crew, jusqu’en 2010. J’ai ralenti petit à petit quand je me suis intéressé à la création. D’autant plus quand j’ai pris la direction de la compagnie. Je n’ai pas fait de battle depuis trois ans.

Diriger une compagnie c’est donc prenant…

Oui aujourd’hui je consacre vraiment mon planning à la création, qui me prend beaucoup de temps, entre créer, faire tourner et diriger la compagnie, être avec l’équipe, avoir des réflexions, écrire les projets. Quand je ne danse pas je suis derrière mon ordi, ou alors je dors (rire).

Il y a aussi toute la partie administrative, la fameuse paperasse.

En effet. Je m’occupe principalement de la partie professionnelle de la compagnie. On fait la distinction entre Soul City Crew et Soul City, la compagnie. On a voulu créer notre propre travail. Même si le statut reste associatif, dans la gestion c’est une entreprise. Et dans une entreprise, le directeur doit être là tout le temps !

Pryer si pryerDans Priyèr’ Sï Priyèr c’est l’ardeur du travailleur que j’ai vraiment ressenti… mais aussi le partage et la solidarité face à la difficulté. C’est ça le thème du spectacle ?

Dans toutes mes créations pour la compagnie il y a des notions qui restent. Tel le travail, tu l’as bien vu, le dépassement de soi, la transe, un langage chorégraphique assez violent, un côté mystique, le rapport à l’objet sacré. Ces notions-là, dans toutes mes pièces je les garde, c’est ma base d’écriture. Et après, selon le thème je décline les choses, je dose en pourcentages : plus ou moins de sacré, de combat, etc. selon le propos.

Priyèr Sï Priyèr (prière sur prière) met donc l’accent fort sur le religieux…

Pour ce spectacle je me suis principalement intéressé au rituel, aux rites. Dans mes recherches j’ai été participer à des rituels à La Réunion, que je connaissais déjà mais que je voulais revoir en détail. J’ai été à Madagascar dont nous sommes héritiers de la culture dans notre histoire. Je suis parti à la source : il y a des codes que l’on reprend dans la pièce qui sont inspirés des rituels : les galets, la lampe, les ampoules. Tout est lié à un symbole ou une croyance. Après je détourne les choses, on crée notre propre rituel.

La violence que l’on perçoit en voyant cette pièce, d’où vient-elle ?

Il y a une certaine violence dans le rituel. Dans les cérémonies malbars, les marches sur le feu par exemple, avec des sacrifices, la violence elle est là. On coupe les têtes des cabris ! Il y a une certaine violence qui est présente et je voulais le faire ressentir dans la pièce. Et une certaine dévotion aux choses aussi. Les trois danseurs sont tous dévoués à quelqu’un, ou quelque chose.

HevaSur les deux spectacles pour Leu Tempo festival (Saint-Leu, mai 2016), quels sont les ingrédients que tu as choisis de mettre en avant ?

Le premier raconte l’histoire de Héva, une marronne, c’est à dire une esclave qui s’est échappée. C’est un personnage important à La Réunion, c’est la femme d’Anchaing, un autre esclave célèbre qui a donné son nom à un piton. Dans ce spectacle j’ai voulu imaginer l’enterrement de Héva par ses filles. C’est donc proche du rituel mais ce qui en ressort c’est vraiment la transe. Et surtout le côté abandon ; quand elles dansent, les trois filles ont un mouvement de torsion, elles cherchent à l’intérieur. Dans le rapport entre elles, il n’y a pas de danse contact par exemple.

Et pour le second spectacle, Tir Pa Karte ?

C’est l’histoire de trois mecs – j’ai quelque chose avec ce nombre, c’est un chiffre sacré, la difficulté à créer dans cette composition-là me plait. C’est beaucoup moins religieux, c’est plus militaire, c’est basé sur la confiance, la trahison, l’amitié, tout le rapport humain qu’on peut avoir en un certain laps de temps. Les danseurs traduisent tous les rapports humains qu’on peut avoir avec une personne en quinze minutes : tu trahis, tu es trahi, c’est un ami, c’est un ennemi, il y a la complicité… et un peu d’humour, c’est rare.

Quatre-Accords-ToltèquesQue signifie le titre ?

Ce spectacle est extrait d’une pièce que j’ai écrite en m’inspirant du livre « Les Quatre Accords Toltèques ». Les danseurs me demandent souvent comment faire pour réussir. Je leur répond qu’il faut être motivé et bosser. Et le meilleur moyen de les aider c’est de les faire danser dans une pièce, au lieu de rester sur les ateliers. En parallèle j’ai pris connaissance de ce livre, qui est une moralité pour mieux vivre, et j’ai eu envie de retranscrire ça dans la relation que j’ai avec les jeunes. J’ai créé sur les quatre accords toltèques, quatre petites pièces de quinze minutes.

Auquel des quatre accords toltèques correspond celui-ci ?

Tir Pa Karte correspond au principe « Ne fais pas de supposition ». Ici à La Réunion on joue beaucoup aux cartes, ça peut devenir une obsession, et l’expression signifie « N’essaie pas de deviner », « Tire pas les cartes de ma tête ». C’est Francky Lauret, un comédien avec qui je bosse depuis le début, qui a trouvé le titre. Il m’aide sur les propos de la pièce. Il a écrit des textes qui alimentent ce que je veux dire, je donne à entendre, la langue créole, les expressions. Les fonkers (poèmes créoles) sont tous de lui. Ceux-si sont proches du religieux, des croyances, on est vraiment connectés à ce niveau-là.

La musique occupe elle aussi une place importante dans vos spectacles. Sur Priyèr Sï Priyèr vous avez travaillé avec un compositeur local, Labelle.

C’était une première pour lui et pour moi aussi. C’était la première fois que je collaborais avec un compositeur pour l’une de mes pièces. De son côté, son expérience avec la danse c’était de l’impro, il était acteur sur scène. Les danseurs dansaient en impro sur sa musique. C’était la première fois que quelqu’un lui commandait une vraie bande-son pour un spectacle. On s’est cherché un peu au début de la création. J’avais un peu commencé avec les danseurs, et même encore avant tout seul, à créer, à chercher. Avec Labelle, on s’est retrouvé dans le travail en bossant en parallèle.

Comment avez-vous procédé, était-il présent aux séances de création ?

Il était dans la salle et pendant que je créais, il créait aussi. Le soir il bossait chez lui et le lendemain il peaufinait ce qu’il avait créé sur place. Et après on se voyait hors-répète aussi mais la plus grosse partie du travail c’est du live, presque. Dans la musique ce qui fait le charme pour moi c’est le fait que 80% de la musique c’est de l’enregistrement, réalisés lors des rituels auxquels on a assistés. Tout ce que tu entends, les voix, les cloches, les tambours, ce sont des sons que l’on a nous-même enregistrés. On sort un peu du contexte. Tu ne fais pas le rituel en tant qu’artiste, ça te prend personnellement. On a fait le carême, on allait prier, c’est individuel.

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