Nous rencontrons Raistlin, ancien beatmaker de La Moza qui continue l’aventure en solo, pour qu’il nous présente son premier projet, “Mon Échappée Belle”, qui sort cette semaine sur Internet. Ce sera l’occasion pour lui de faire découvrir son univers, ses influences, sa vision de la musique et ses projets au public qui ne le connaît pas encore.
Cosmic Hip Hop : Sachant que c’est ta première interview pour ton premier projet solo, pourrais-tu te présenter en quelques mots?
Raistlin : Bien sûr ! Moi c’est Raistlin, Rappeur, Beatmaker, un peu multitâches. J’ai plusieurs cordes à mon arc, je suis pianiste/clavieriste, aussi animateur radio sur Radio Canut à Lyon [ndlr: Lyon, 102.2 FM, http://www.radiocanut.org/]. Je présente donc mon premier projet en mon nom : « Mon Échappée Belle », un EP de 6 titres. J’étais anciennement le beatmaker de La Moza sur Grenoble [ndlr : chronique ici ]. Donc ça fait, ouais, une bonne grosse dizaine d’années, on va dire 12 ans, que je pratique le beatmaking, que j’écris, mais j’avais jamais encore sorti de projet en tant que rappeur. Même si ça fait quand même maintenant bien 3 ans que j’ai ma formation sur scène avec laquelle j’ai fait pas mal de dates sur la région Rhône-Alpes.
[interruption : but en direct de Lyon contre Lorient et intervention de la serveuse qui apporte les cafés. Raistlin, en grand supporter de l’OL, gardera un œil discret mais constant sur le match, le but sera accueilli avec joie comme le café, et l’interview pourra continuer dans une franche bonne humeur]Raistlin : Donc je commence à avoir pas mal roulé ma bosse, et pas que dans le rap, aussi dans d’autres styles musicaux, le reggae, dans la soul, la funk. Là je sors ce projet qui est l’occasion de me mettre le pied à l’étrier et qui devrait en amener d’autres.
CHH : Ce projet qui s’appelle donc « Mon Échappée Belle »?
R: Oui c’est ça, « Mon Échappée Belle », qui est le titre du premier morceau de ce projet de 6 pistes. Ce premier morceau est une métaphore filée autour du rap, de la musique Hip Hop et de la musique en général, qui est mon « Paradis Artificiel » comme je le dis dans le refrain. Je décline ce paradis artificiel tout au long du morceau à travers la thématique du voyage. Comment chez soi, grâce à la musique, on peut voyager, voyager de l’intérieur.
CHH : La première chose qui m’a marqué c’est la qualité des instrus. On sentait cette qualité déjà présente sur l’album de la Moza, et là, sur le 6 titres, elle est toujours très présente. On voit que c’est quelque chose qui te tient vraiment à cœur.
R : Oui effectivement. Bon déjà beaucoup de choses ont évolué depuis l’album de la Moza qui était sorti en 2008 et donc produit en 2006-2007. J’ai grandi, évolué aussi bien dans ma manière de produire, mes techniques de production etc… qu’en terme de maturité musicale. C’est quelque chose d’absolument primordial. Mais je ne revendique pas uniquement le côté beatmaker, ou d’être rappeur, je revendique vraiment les deux en même temps. Même si, disons, « chronologiquement » je suis d’abord beatmaker, en réalité c’est vraiment 50-50.
CHH : En écoutant j’ai parfois eu l’impression que t’as fait ce projet pour écouter des bons beats. C’est le genre de sons qu’on entend plus trop…
R : [coupe] Moi j’en entends et j’en écoute toujours, y’a des projets qui sortent…
CHH : En Amérique?
R : Non non, même en France.
CHH : Ok, enfin je sentais quelqu’un qui voulait faire quelque chose de bien et qui voulait écouter ce genre de choses.
R : Envie de faire un truc bien, oui c’est clair. Même bien ça ne me suffit pas vraiment. J’ai mis en gros une moitié des morceaux que j’ai déjà rouillés sur scène, et l’autre moitié que j’ai faite pour l’EP. C’était vraiment une volonté de ma part. A la base je voulais même y mettre quelques morceaux instrumentaux. Ça n’a pas pu se faire mais il y aura des projets instrumentaux qui verront le jour ensuite. Et j’ai parsemé ça de petits interludes qui apportent d’autres couleurs, qui apportent du liant. C’est vrai que c’est hyper important pour moi.
CHH : D’entendre des instruments?
R : Disons que j’ai un univers assez varié même si l’esthétique reste très boom bap et vraiment influencée par les années 90. J’ai un univers large au sein de cette catégorie Rap. Mais cette catégorie je la revendique aussi, hein ! Je sais que ce que je fais sonne et vient directement des années 90. C’est ce que j’ai toujours fait. Je suis sur la même lignée depuis 10 ans. Aujourd’hui j’arrive à un tournant parce que j’ai pu, déjà vivre de la musique, et en profiter pour acquérir du matériel et des choses qui font que je vais essayer d’aller encore au delà de cette qualité là. C’est vraiment qu’un début.
CHH : Pour continuer sur tes influences et sur le style très 90’s de ta musique : tu cites Guru, Q-type dans tes morceaux, tu pourrais nous donner d’autres noms?
R : Sans faire une liste de 10000 noms qui serait un peu vaine, d’autant que j’en oublierais… tu parlais de Guru, Gangstarr et donc Primo, voilà. Avec Q-Type, je rajouterais Pete Rock – c’est un peu les artistes phares.
CHH : L’inconscient collectif.
R: Voilà. Et Pete Rock pour moi, vraiment Pete Rock. En terme de beatmaking c’est là où je veux aller.
CHH : C’est vrai qu’en entendant les petites outro/intro j’ai pensé direct « mais c’est Pete Rock »!
R [rires] : C’est très peterockeste oui. Mais je pourrais rajouter aussi toute la période Flipmode Squad, les premiers albums de Busta Rhymes entre 95 et 99, avec les productions de DJ Scratch qui est un producteur qui m’a beaucoup influencé. Scratch c’est Flipmod et aussi EPMD, mais il est peut être un peu moins connu que Pete Rock et compagnie. Je ne peux pas ne pas citer Lewis Parker aussi.
CHH : DITC?
R : Oui DITC! Finness bein voilà : la manière dont je travaille c’est vraiment le côté Lord Finness, le côté Showbiz. C’est vraiment les mêmes techniques de production. Même si aujourd’hui on est en 2013 et qu’évidemment on ne produit plus comme en 1995. On utilise les mêmes outils, mais y’en a tellement d’autres à disposition que ce serait bête de s’en priver.
CHH : Et aujourd’hui qu’écoutes-tu?
R : En ce moment ? DoppelGangaz que je surkiffe, Lewis Parker. La liste est longue ! Je pourrais sortir mon Blackberry et te la faire… Doppelgangaz, Lewis Paker, Sound Provider, y’en a tellement… [il réfléchit quelques secondes] C’est pareil je pourrais donner une liste longue comme le bras, là c’est les premiers qui me viennent à l’esprit [il vérifie vraiment dans son Blackberry]. Après c’est pas forcement des trucs récents, c’est pour ça là je te donne les plus récents. Y’a aussi toute la clique Action Bronson, Meyhem Lauren que j’écoute un petit peu. Sinon ce sera que des trucs plus anciens.
CHH : Pour continuer sur tes influences, qu’on voit là très US, on devine quand même une part de rap français derrière aussi. Tu cites Rocé, tes textes sont très travaillés, on sent que tu ne veux pas écrire n’importe quoi, n’importe comment. Comme les rappeurs français de la fin 90’s en France ont pu le faire.
R : Je suis de cette école des rimeurs. C’est comme ça que j’ai appris à écrire, en rencontrant les mecs de la Moza, en écoutant à l’époque, tu parlais de Rocé, qui est pour moi une influence majeure…
CHH : Ton rappeur français préféré?
R : Non [rires] mon rappeur français préféré c’est Nemo Nebbia [ndlr : ancien rappeur de la Moza] [rires]. Enfin voila, non y’a pas que Rocé, et je vais pas faire de liste une fois encore. Je suis vraiment d’une école de l’écriture, de faire des rimes, des belles rimes, des bonnes rimes, tout en gardant un discours qui reste cohérent. Ne pas faire la rime pour la rime, la punchline pour la punchline. Faire les meilleures rimes possibles tout en parlant de moi, de la musique.
CHH : Pour continuer de parler de la Moza, sachant que c’est un peu la seule référence qu’on a de ce que t’as pu faire, j’ai trouvé ton projet plus « lumineux » que ce qui se faisait au sein du groupe. Il y a quand même des titres un peu sombres sur les 6 titres mais peu, la tendance inverse de Mozaïste [ndlr : l’album de la Moza] où l’ambiance générale était plutôt sombre. C’est un changement dont tu avais besoin?
R : En fait cet EP me ressemble. La Moza c’est le projet de deux rappeurs, Biboosta et Nemo Nebbia et je me suis mis à leur service. Si t’écoutes bien l’album (et je pense que tu le connais assez bien), tu te rends compte qu’il y a quand même des petits éclairs de lumière, des interludes, des choses qui ramènent d’autres ambiances que le côté sombre. Moi voila, j’ai besoin de faire des choses qui sont vraiment influencées par le jazz. On a parlé de mes influences Hip Hop mais je pourrais parler de toutes les autres, dans la musique en général. J’écoute énormément de jazz, de jazz funk, de funk, et ce côté est indispensable pour moi dans ce que je fais. Il est aussi indispensable que le côté sombre introspectif d’un morceau comme « Voleur et Verrou » ou « Victime de l’Instantanée ». Et à côté t’as « Grain de Poivre » ou « Mon Échappée Belle ». Ou même « The Heartbeat » qui à sa façon est un peu la clef de voûte de cet album ; sachant qu’il est dans cette esthétique hiphop/jazz, hiphop/soul, alors qu’en même temps, si t’écoutes bien, le texte n’est pas aussi lumineux que la musique en a l’air. Et à côté tu vas avoir un titre comme « Bande Passante » avec Nemo Nebbia…
CHH : Plus classique?
R : Oui, qui ramène probablement un côté plus « rap français ». Même dans l’esthétique de l’instru. C’est pas péjoratif d’ailleurs, « rap français », c’est ce que je fais au final !
CHH : Pour terminer la comparaison avec la Moza, où tu rappais peu (on t’entend sur un seul couplet dans l’album), tu étais plutôt le producteur. L’envie de rapper est apparue quand?
R : J’ai toujours rappé. « Depuis des tas d’années » [rires]. L’envie de mettre ça en forme, dans un projet, ça a mûri en fait tout de suite après l’album Mozaïstes. Et puis ça m’a pris du temps de mettre ça en place. Je me suis installé sur Lyon, j’ai rencontré des gens avec qui je travaille : Dj P du Turntablism Crew, un multi-instrumentiste qui s’appelle Jay B, qui joue du saxophone, de la basse. J’ai vraiment toujours eu envie de garder ce côté organique. Mais cette pratique de l’écriture je l’ai depuis très très longtemps. Même pas dans le rap, même dans d’autres formations dans lesquelles j’évoluais avant, j’écrivais déjà des textes. Je dissocie pas ça du beatmaking, de la musique.
CHH : Donc la transition du beatmaker au MC, ça s’est fait assez naturellement au final?
R : Y’a pas eu de transition, j’ai toujours été les deux. Même si dans mon côté visible, dans la mini visibilité que je peux avoir, je suis plus vu comme un beatmaker effectivement. Après je suis tout autant clavieriste, ou rappeur, ou beatmaker. Je vais être amené à faire des feats juste comme rappeur sur d’autres projets. Je vais être amené à produire pour tel ou tel mec. Je dissocie pas.
CHH : Au niveau de ton écriture, sur le couplet que tu avais fait sur Mozaïste, il avait marqué les gens qui l’avaient écouté par la richesse, l’originalité et la complexité du champ lexical utilisé. Dans les 6 morceaux cette complexité se retrouve moins, l’écriture semble plus naturelle. C’était une volonté?
R : C’est pas quelque chose que j’ai réfléchi, mais tu as raison. J’ai aussi évolué dans ma manière d’écrire depuis « La Gamme du Chronomètre » [ndlr : morceau de l’album Mozaiste sur lequel apparaît Raistlin], c’est clair. Si tu réécoutes bien le couplet, j’ai beaucoup évolué dans la manière de rapper. J’ai beaucoup évolué là dessus dans les 5-6 ans qui sont passés entre ces deux projets. J’ai beaucoup travaillé le flow, l’écriture, la présence sur scène. Ce sont des choses que je continue à travailler, mais ce ne sont pas des choses auxquelles j’ai réfléchi finalement.
CHH : C’est venu avec le travail.
R : C’est une photographie de mon état d’esprit de l’époque.
CHH : Tu dis dans « Grain de Poivre » : « J’hérite de l’histoire du Hip Hop, ses excès, ses succès et ses peurs/Rap pédagogique par respect pour mes prédécesseurs. » Le rapport avec l’histoire de la musique a l’air très important pour toi. Sur la pochette on voit des vinyles, on entend leurs craquements dans les outros…
R : [coupe] Les samples viennent de vinyles, donc forcément… C’est pas rajouté ! [rires]
CHH : Ce rapport à l’histoire, cette nécessité de revenir au passé est importante donc?
R : C’est important parce que je suis dans un état d’esprit où pour moi le Hip Hop est une culture pluridisciplinaire, une histoire. Je ne suis pas juste un rappeur, dans le sens où on peut voir des rappeurs (et je respect leur démarche) qui écrivent, qui rappent, mais qui n’ont pas de lien avec la culture Hip Hop. Pour moi c’est primordial. Mais encore une fois y’a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire. Ma façon à moi de voir les choses c’est celle là : je sample sur du vinyle, c’est vraiment un kiff personnel, un rapport organique avec la musique ; je travaille avec des machines qui ont marqué l’histoire, et je baigne là dedans, et ça me plaît!
CHH : On y gagne quelque chose?
R : Y’a un état d’esprit, quelque chose qui passe. Mais ça veut pas dire que je suis nostalgique d’une époque que j’ai pas connue.
CHH : C’est là où je voulais en venir : t’as pas peur de rester bloqué par une nostalgie qui ressasse le « c’était mieux avant » ?
R : Mais non ! Non, c’est pas du tout ce que je dis. Le rap c’était mieux demain ! C’est clair et net ! Surtout en ce moment où beaucoup de choses se passent dans le rap, notamment dans le rap français. Non pas du tout. J’ai un autre morceau qui s’appelle « Beatmaker » qui n’est pas sur l’EP mais sur mon Soundcloud où je le dis : « Ne m’appelle pas nostalgique ». Parce que finalement, moi ce que je fais aujourd’hui je le faisais déjà y’a 5 ans, y’a peut-être même dix ans dans une autre proportion. Je crois que je fais juste ce que j’aime sans forcément me dire « Ah merde je suis né 10 ans trop tard ». De toute façon ce que tu fais aujourd’hui en 2013, avec les outils de 2013, même si c’est influencé par ce qui se faisait en 1998, ça sonne forcément pas pareil. Après, je veux pas faire du copié collé d’un truc qui a déjà été fait dans les années 90. Et je ne crois pas que ce soit ce que je fais. J’amène ma patte, j’amène ma touche.
CHH : Pour revenir à cette phrase [ndlr : »J’hérite de l’histoire du Hip Hop, ses excès, ses succès et ses peurs/Rap pédagogique par respect pour mes prédécesseurs. »], tu parles aussi des excès du rap. Ça m’a fait penser à Valls qui a réagi aux propos de Nathalie Goulet qui dit : « Mon attention a été attirée sur un certain nombre de ‘chansons’ – si l’on peut dire – de rappeurs tels que 113, Sniper, Salif, Ministère Amer, Smala ou encore Lunatic, dont les paroles sont d’une violence absolument inouïe contre la France, ses autorités civiles et militaires, son drapeau », en ajoutant : « J’estime que leurs paroles sont des appels à la violence et à la haine envers les autorités de police ». Ce à quoi le ministre a répondu qu’il était d’accord et qu’il fallait effectivement réagir. On entend souvent cette rengaine revenir… [ndlr : des infos sur cette histoire ici ]
R : C’est ce que j’allais dire. J’ai juste envie de dire à cette dame de se souvenir des textes de Georges Brassens ou Renaud. Ça n’a pas changé.
CHH : Comment tu te positionnes par rapport à ces propos?
R : Les propos, mais lesquels?
CHH : Ceux de la sénatrice qui dit que dans le rap des rappeurs ont des propos violents. Tu te sens concerné? tu te dis « j’assume les excès du rap »?
R : Non j’en hérite… je les assume pas. Enfin en partie si…
CHH : Tu te sens touché? Tu penses qu’elle a raison?
R : Elle a raison dans le sens où, oui y’a des rappeur qui écrivent des textes violents. Après la violence, la vraie violence… On reste des manieurs d’images, des manieurs de symboles qu’on écrit et qu’on transmet par la parole. Oui, y’a des rappeurs qui écrivent des choses violentes, après la violence moi je la trouve pas forcement là où on la voit habituellement. Oui y’a des rappeurs qui écrivent de la merde, même aujourd’hui, mais la vraie violence elle est pas dans les propos d’un rappeur elle est même pas dans les voitures qui brûlent. La violence elle est économique, elle est sociale, pour moi la vraie violence elle est là.
CHH : Tu te sens donc quand même un peu touché quand on dit ça du rap?
R : Je sais pas si ça me touche, en tout cas cette sénatrice, que j’imagine de droite…
CHH : Oui elle est à l’UMP [ndlr : centre gauche en vérité, Syka fait de la désinformation!]
R : Voila, y’a rien qui m’étonne là dedans. On pourrait reparler de la violence des propos des discours de droite. Bon l’incitation à la violence ne doit pas non plus être glorifiée : inciter les jeunes à la violence n’est pas une solution. Mais faut pas oublier que les jeunes qui écoutent ça, quoi qu’on en dise, ils ont un cerveau et savent faire la part des choses entre la réalité et le côté ‘fictif’ du rap qui n’est qu’une prise de parole. Une prise de parole artistique. Les gens ne sont pas bêtes et savent faire la part des choses.
CHH : Moi ce qui me choque dans cette histoire, c’est que je peux comprendre la nécessité d’un débat sur la liberté d’expression, mais alors pourquoi ne pointer du doigt que le rap? À croire que seuls les rappeurs ont des propos violents.
R : Exactement, on aurait dit la même chose de Renaud dans les années 70, l’époque des blousons noirs. On avait déjà le même discours. En réalité on a déjà des scandales suite à des prises de parole d’artistes qui remontent aussi loin que l’art existe. Après l’époque change. L’art n’est plus récupéré de la même manière qu’il y a 10 ans, 20 ans, même dans le milieu du rap. C’est à prendre en compte aussi.
CHH : Pour revenir à toi, la passion pour la musique est arrivée comment?
R: Je sais pas..
CHH : Depuis toujours?
R : Ouais je pense… Je pense, depuis que je suis gamin. Un jour j’ai eu Michael Jackson dans les oreilles et depuis ce jour là je suis musicien.[rires]
CHH : Et à part le rap, tu parlais de jazz, soul tout à l’heure, tu écoutes beaucoup de musique?
R : J’écoute énormément de musique, principalement tout ce qui est issu de la musique noire américaine. Funk, Soul, Jazz, Jazz Funk. J’écoute aussi de la musique latine, de plus en plus. En fait je suis aussi selecta (pas DJ, hein, mais selecta) à mes heures perdues du coup je me suis mis à écouter des trucs pour faire bouger les gens. À la base j’écoutais des disques pour les sampler. Aujourd’hui je me rends compte qu’il y a vraiment des publics à faire bouger sur les dancefloors avec des choses que j’avais pas l’habitude d’écouter habituellement. Ça m’intéresse grave d’aller chercher ce genre de choses. Soul, jazz, funk, mais aussi rock progressif, jazz rock, des trucs un peu plus durs d’accès. Le genre de trucs quand ta meuf rentre chez toi et que t’écoutes ça, elle te dit « Non mais ça va pas? Qu’est-ce qui y’a? Tu veux qu’on en parle ? » [rires]. Aussi de la musique africaine, de la chanson. Et je suis dans un groupe de rock au clavier. Donc j’écoute énormément de choses hors rap. Même si tout ça vient du fait que j’ai écouté du rap. Je me suis ouvert sur des musiques en m’intéressant à quel mec a samplé quoi et comment. Ça ça m’a ouvert des portes musicales vraiment énormes.
CHH : Tu parles un peu de ton pseudo Raistlin tu dis…
R : [coupe en riant] « Ce gars au nom imprononçable que tu finiras par retenir »
CHH : Ouais, c’est bizarre…
R : Bizarre, je sais pas… Je suis pas le seul rappeur avec un nom imprononçable. Mais je me rends compte que les mecs les retiennent. Finalement. [là l’interviewé lit habilement dans les yeux de l’interviewer] Tu veux savoir d’où ça vient c’est ça?
R : En fait c’est un pseudo que j’ai choisi quand j’ai commencé à écrire, donc à 16-17 ans, adolescent. A la base c’est un personnage d’une série de romans qui m’avait marquée quand j’étais ado. J’ai choisi ce nom et ensuite j’ai dû en assumer les conséquences [rires]. Je les assume pleinement. C’était aussi graphique. J’aimais bien ce que ça rendait graphiquement, R.A.I.S.T.L.I.N. Après les gens ne retenaient pas mon nom, tant pis ! Maintenant j’ai des CDs à leur donner, donc c’est bon, ils pourront le retenir !
CHH : Tu parles de roman, ton pseudo vient d’un roman. Tu lis un peu?
R : Oui, pas qu’un peu, j’ai toujours lu énormément…
CHH : Jusqu’à influencer ton pseudo.
R : Exact. C’est pareil, depuis… Enfin pas depuis que je sais lire, mais disons depuis que j’ai huit ans, depuis que j’ai lu Bilbo le Hobbit. [rires] Mais c’est vrai! depuis je lis tout le temps. J’ai du mal à m’endormir si je bouquine pas.
CHH : Ça influence ta façon d’écrire ?
R : Je sais pas. Je crois pas. Mais ça pourrait. On ne sait pas comment les choses évolueront.
CHH : Des fois on ne s’en rend pas compte non plus ?
R : Ouais peut-être. Ça m’influence dans les réflexions que je peux avoir et les thèmes que je vais développer. Évidemment. Je me nourris des livres que je lis, comme je me nourris des disques que j’écoute quand j’écris ou quand je fais des prods. Mais c’est pas quelque chose que je calcule.
CHH : Pour revenir au projet. Il y a deux feat DFE…
R [coupe] : Ouais DFE, Dragon Fli Empire, qui est un groupe de Calgary au Canada. C’est un MC qui s’appelle Teekay et un Dj qui s’appelle DJ Cosm. Ils sont de très très bons rappeurs autant que beatmakers. Même si là pour le coup, c’est moi qui ai fait l’instru. Par contre c’est DJ Cosm qui fait les scratches. C’est d’ailleurs le seul morceau où ce n’est pas DJ P qui fait les scratches. Sinon ils sont vraiment très bons. Je les ai rencontrés parce qu’on les a fait venir à Lyon et à Chambéry avec l’Antichambre [ndlr: association qui organise des événements Hip Hop sur la région Rhône Alpes]. J’ai donc passé deux-trois jours avec eux à parler, à kiffer. Parce que voilà, pour moi la musique en général et le Hip Hop plus particulièrement c’est une affaire de rencontres. Une affaire de feeling, humain. Je travaille qu’avec des gens, jusqu’à présent, que j’ai rencontrés et avec qui j’ai accroché, aussi bien humainement qu’artistiquement. Comme DFE, comme je vais être amené à travailler avec des mecs de Brooklyn : Rabbi Darkside, Tah Phrum Duh Bush.
CHH : Et le deuxième feat : Nemo Nebbia.
R : Voila, bien entendu. Y’aurait dû avoir un feat de Biboosta, mais pour des problèmes de calendrier ça n’a pas pu se faire. Mais y’a un morceau qui devait être sur l’EP avec Biboosta, qui sortira peut-être plus tard. C’était naturel. C’est venu tout de suite.
CHH : T’as prévu de soutenir ce projet sur scène, tu peux nous en dire un peu plus?
R : Si tu veux, la scène c’est mon objectif principal. Je suis vraiment quelqu’un qui aime la scène et qui le fait partager. J’ai mis en place depuis plus de deux ans la formation que j’ai maintenant, avant de faire l’EP. Je l’ai déjà fait sur scène, ça m’a permis d’affiner plein de choses, de travailler d’une meilleure manière pour ce disque. Sur scène j’apporte un côté, comme je disais tout à l’heure, un peu « organique ». Faut savoir que sur scène c’est un trio, avec Dj P aux platines, Jay-B qui est au saxo et à la basse, et moi-même qui suis au rap, machines et claviers. On a ce petit trio comme ça, qui fonctionne bien. Qui fait un show un peu… Qui ne se contente pas d’enchaîner simplement les morceaux (même si j’ai rien contre ça et s’il fallait faire un bon gros mic platine je le fais et je kiffe). J’ai envie d’aller vers les gens, j’ai des morceaux instrumentaux, j’aime bien embarquer les gens dans des univers et je défends ça sur scène… Quand tu veux!
CHH : Et le Raistlin d’après son échappée belle, tu y as déjà réfléchi?
R : Est-ce qu’il va atterrir? Je sais pas… En tout cas oui, je suis en train de produire le maxi de Nemo Nebbia « En Direct du Brouillard » qui sortirait courant 2013. Je vais faire de la scène. Pour les projets futurs… Celui-là n’est pas encore sorti ! Mais j’ai déjà des idées ouais. Je voudrais travailler avec un mec sur Lyon, DJ Zajazza, sur un projet commun avec lui et les rappeurs de Brooklyn. Y’a encore rien de fait ni de décidé mais c’est une envie que j’ai. J’aimerais travailler sur un projet abstract, un projet vraiment beatmaker. J’ai des choses que je ne peux pas sortir, expulser avec le projet Raistlin en mode MC. Ça ne s’y prête pas. Ces choses là un jour, c’est pas pressé, mais un jour je les sortirai. Sinon je vais surtout continuer à faire des morceaux, sortir un second EP, un album, continuer à me structurer, à rencontrer des gens.
Vous pouvez écouter Raistlin sur son bandcamp et son soundcloud, et le retrouver sur facebook et twitter. Le projet « Mon Échappée Belle » sera disponible sur son bandcamp à prix libre à partir de mercredi, en attendant vous pouvez écouter et voir le clip du titre extrait de l’EP « Grain de Poivre » sur youtube.
Propos recueillis par Syka pour Cosmic Hip Hop le 24 février 2013, merci à Zemar aka Zeminée pour la tof, et @holyhologram pour la relecture!Comments are closed.
Nous rencontrons Raistlin, ancien beatmaker de La Moza qui continue l’aventure en solo, pour qu’il nous présente son premier projet, “Mon Échappée Belle”, qui sort cette semaine sur Internet. Ce sera l’occasion pour lui de faire découvrir son univers, ses influences, sa vision de la musique et ses projets au public qui ne le connaît pas encore.
Cosmic Hip Hop : Sachant que c’est ta première interview pour ton premier projet solo, pourrais-tu te présenter en quelques mots?
Raistlin : Bien sûr ! Moi c’est Raistlin, Rappeur, Beatmaker, un peu multitâches. J’ai plusieurs cordes à mon arc, je suis pianiste/clavieriste, aussi animateur radio sur Radio Canut à Lyon [ndlr: Lyon, 102.2 FM, http://www.radiocanut.org/]. Je présente donc mon premier projet en mon nom : « Mon Échappée Belle », un EP de 6 titres. J’étais anciennement le beatmaker de La Moza sur Grenoble [ndlr : chronique ici ]. Donc ça fait, ouais, une bonne grosse dizaine d’années, on va dire 12 ans, que je pratique le beatmaking, que j’écris, mais j’avais jamais encore sorti de projet en tant que rappeur. Même si ça fait quand même maintenant bien 3 ans que j’ai ma formation sur scène avec laquelle j’ai fait pas mal de dates sur la région Rhône-Alpes.
[interruption : but en direct de Lyon contre Lorient et intervention de la serveuse qui apporte les cafés. Raistlin, en grand supporter de l’OL, gardera un œil discret mais constant sur le match, le but sera accueilli avec joie comme le café, et l’interview pourra continuer dans une franche bonne humeur]Raistlin : Donc je commence à avoir pas mal roulé ma bosse, et pas que dans le rap, aussi dans d’autres styles musicaux, le reggae, dans la soul, la funk. Là je sors ce projet qui est l’occasion de me mettre le pied à l’étrier et qui devrait en amener d’autres.
CHH : Ce projet qui s’appelle donc « Mon Échappée Belle »?
R: Oui c’est ça, « Mon Échappée Belle », qui est le titre du premier morceau de ce projet de 6 pistes. Ce premier morceau est une métaphore filée autour du rap, de la musique Hip Hop et de la musique en général, qui est mon « Paradis Artificiel » comme je le dis dans le refrain. Je décline ce paradis artificiel tout au long du morceau à travers la thématique du voyage. Comment chez soi, grâce à la musique, on peut voyager, voyager de l’intérieur.
CHH : La première chose qui m’a marqué c’est la qualité des instrus. On sentait cette qualité déjà présente sur l’album de la Moza, et là, sur le 6 titres, elle est toujours très présente. On voit que c’est quelque chose qui te tient vraiment à cœur.
R : Oui effectivement. Bon déjà beaucoup de choses ont évolué depuis l’album de la Moza qui était sorti en 2008 et donc produit en 2006-2007. J’ai grandi, évolué aussi bien dans ma manière de produire, mes techniques de production etc… qu’en terme de maturité musicale. C’est quelque chose d’absolument primordial. Mais je ne revendique pas uniquement le côté beatmaker, ou d’être rappeur, je revendique vraiment les deux en même temps. Même si, disons, « chronologiquement » je suis d’abord beatmaker, en réalité c’est vraiment 50-50.
CHH : En écoutant j’ai parfois eu l’impression que t’as fait ce projet pour écouter des bons beats. C’est le genre de sons qu’on entend plus trop…
R : [coupe] Moi j’en entends et j’en écoute toujours, y’a des projets qui sortent…
CHH : En Amérique?
R : Non non, même en France.
CHH : Ok, enfin je sentais quelqu’un qui voulait faire quelque chose de bien et qui voulait écouter ce genre de choses.
R : Envie de faire un truc bien, oui c’est clair. Même bien ça ne me suffit pas vraiment. J’ai mis en gros une moitié des morceaux que j’ai déjà rouillés sur scène, et l’autre moitié que j’ai faite pour l’EP. C’était vraiment une volonté de ma part. A la base je voulais même y mettre quelques morceaux instrumentaux. Ça n’a pas pu se faire mais il y aura des projets instrumentaux qui verront le jour ensuite. Et j’ai parsemé ça de petits interludes qui apportent d’autres couleurs, qui apportent du liant. C’est vrai que c’est hyper important pour moi.
CHH : D’entendre des instruments?
R : Disons que j’ai un univers assez varié même si l’esthétique reste très boom bap et vraiment influencée par les années 90. J’ai un univers large au sein de cette catégorie Rap. Mais cette catégorie je la revendique aussi, hein ! Je sais que ce que je fais sonne et vient directement des années 90. C’est ce que j’ai toujours fait. Je suis sur la même lignée depuis 10 ans. Aujourd’hui j’arrive à un tournant parce que j’ai pu, déjà vivre de la musique, et en profiter pour acquérir du matériel et des choses qui font que je vais essayer d’aller encore au delà de cette qualité là. C’est vraiment qu’un début.
CHH : Pour continuer sur tes influences et sur le style très 90’s de ta musique : tu cites Guru, Q-type dans tes morceaux, tu pourrais nous donner d’autres noms?
R : Sans faire une liste de 10000 noms qui serait un peu vaine, d’autant que j’en oublierais… tu parlais de Guru, Gangstarr et donc Primo, voilà. Avec Q-Type, je rajouterais Pete Rock – c’est un peu les artistes phares.
CHH : L’inconscient collectif.
R: Voilà. Et Pete Rock pour moi, vraiment Pete Rock. En terme de beatmaking c’est là où je veux aller.
CHH : C’est vrai qu’en entendant les petites outro/intro j’ai pensé direct « mais c’est Pete Rock »!
R [rires] : C’est très peterockeste oui. Mais je pourrais rajouter aussi toute la période Flipmode Squad, les premiers albums de Busta Rhymes entre 95 et 99, avec les productions de DJ Scratch qui est un producteur qui m’a beaucoup influencé. Scratch c’est Flipmod et aussi EPMD, mais il est peut être un peu moins connu que Pete Rock et compagnie. Je ne peux pas ne pas citer Lewis Parker aussi.
CHH : DITC?
R : Oui DITC! Finness bein voilà : la manière dont je travaille c’est vraiment le côté Lord Finness, le côté Showbiz. C’est vraiment les mêmes techniques de production. Même si aujourd’hui on est en 2013 et qu’évidemment on ne produit plus comme en 1995. On utilise les mêmes outils, mais y’en a tellement d’autres à disposition que ce serait bête de s’en priver.
CHH : Et aujourd’hui qu’écoutes-tu?
R : En ce moment ? DoppelGangaz que je surkiffe, Lewis Parker. La liste est longue ! Je pourrais sortir mon Blackberry et te la faire… Doppelgangaz, Lewis Paker, Sound Provider, y’en a tellement… [il réfléchit quelques secondes] C’est pareil je pourrais donner une liste longue comme le bras, là c’est les premiers qui me viennent à l’esprit [il vérifie vraiment dans son Blackberry]. Après c’est pas forcement des trucs récents, c’est pour ça là je te donne les plus récents. Y’a aussi toute la clique Action Bronson, Meyhem Lauren que j’écoute un petit peu. Sinon ce sera que des trucs plus anciens.
CHH : Pour continuer sur tes influences, qu’on voit là très US, on devine quand même une part de rap français derrière aussi. Tu cites Rocé, tes textes sont très travaillés, on sent que tu ne veux pas écrire n’importe quoi, n’importe comment. Comme les rappeurs français de la fin 90’s en France ont pu le faire.
R : Je suis de cette école des rimeurs. C’est comme ça que j’ai appris à écrire, en rencontrant les mecs de la Moza, en écoutant à l’époque, tu parlais de Rocé, qui est pour moi une influence majeure…
CHH : Ton rappeur français préféré?
R : Non [rires] mon rappeur français préféré c’est Nemo Nebbia [ndlr : ancien rappeur de la Moza] [rires]. Enfin voila, non y’a pas que Rocé, et je vais pas faire de liste une fois encore. Je suis vraiment d’une école de l’écriture, de faire des rimes, des belles rimes, des bonnes rimes, tout en gardant un discours qui reste cohérent. Ne pas faire la rime pour la rime, la punchline pour la punchline. Faire les meilleures rimes possibles tout en parlant de moi, de la musique.
CHH : Pour continuer de parler de la Moza, sachant que c’est un peu la seule référence qu’on a de ce que t’as pu faire, j’ai trouvé ton projet plus « lumineux » que ce qui se faisait au sein du groupe. Il y a quand même des titres un peu sombres sur les 6 titres mais peu, la tendance inverse de Mozaïste [ndlr : l’album de la Moza] où l’ambiance générale était plutôt sombre. C’est un changement dont tu avais besoin?
R : En fait cet EP me ressemble. La Moza c’est le projet de deux rappeurs, Biboosta et Nemo Nebbia et je me suis mis à leur service. Si t’écoutes bien l’album (et je pense que tu le connais assez bien), tu te rends compte qu’il y a quand même des petits éclairs de lumière, des interludes, des choses qui ramènent d’autres ambiances que le côté sombre. Moi voila, j’ai besoin de faire des choses qui sont vraiment influencées par le jazz. On a parlé de mes influences Hip Hop mais je pourrais parler de toutes les autres, dans la musique en général. J’écoute énormément de jazz, de jazz funk, de funk, et ce côté est indispensable pour moi dans ce que je fais. Il est aussi indispensable que le côté sombre introspectif d’un morceau comme « Voleur et Verrou » ou « Victime de l’Instantanée ». Et à côté t’as « Grain de Poivre » ou « Mon Échappée Belle ». Ou même « The Heartbeat » qui à sa façon est un peu la clef de voûte de cet album ; sachant qu’il est dans cette esthétique hiphop/jazz, hiphop/soul, alors qu’en même temps, si t’écoutes bien, le texte n’est pas aussi lumineux que la musique en a l’air. Et à côté tu vas avoir un titre comme « Bande Passante » avec Nemo Nebbia…
CHH : Plus classique?
R : Oui, qui ramène probablement un côté plus « rap français ». Même dans l’esthétique de l’instru. C’est pas péjoratif d’ailleurs, « rap français », c’est ce que je fais au final !
CHH : Pour terminer la comparaison avec la Moza, où tu rappais peu (on t’entend sur un seul couplet dans l’album), tu étais plutôt le producteur. L’envie de rapper est apparue quand?
R : J’ai toujours rappé. « Depuis des tas d’années » [rires]. L’envie de mettre ça en forme, dans un projet, ça a mûri en fait tout de suite après l’album Mozaïstes. Et puis ça m’a pris du temps de mettre ça en place. Je me suis installé sur Lyon, j’ai rencontré des gens avec qui je travaille : Dj P du Turntablism Crew, un multi-instrumentiste qui s’appelle Jay B, qui joue du saxophone, de la basse. J’ai vraiment toujours eu envie de garder ce côté organique. Mais cette pratique de l’écriture je l’ai depuis très très longtemps. Même pas dans le rap, même dans d’autres formations dans lesquelles j’évoluais avant, j’écrivais déjà des textes. Je dissocie pas ça du beatmaking, de la musique.
CHH : Donc la transition du beatmaker au MC, ça s’est fait assez naturellement au final?
R : Y’a pas eu de transition, j’ai toujours été les deux. Même si dans mon côté visible, dans la mini visibilité que je peux avoir, je suis plus vu comme un beatmaker effectivement. Après je suis tout autant clavieriste, ou rappeur, ou beatmaker. Je vais être amené à faire des feats juste comme rappeur sur d’autres projets. Je vais être amené à produire pour tel ou tel mec. Je dissocie pas.
CHH : Au niveau de ton écriture, sur le couplet que tu avais fait sur Mozaïste, il avait marqué les gens qui l’avaient écouté par la richesse, l’originalité et la complexité du champ lexical utilisé. Dans les 6 morceaux cette complexité se retrouve moins, l’écriture semble plus naturelle. C’était une volonté?
R : C’est pas quelque chose que j’ai réfléchi, mais tu as raison. J’ai aussi évolué dans ma manière d’écrire depuis « La Gamme du Chronomètre » [ndlr : morceau de l’album Mozaiste sur lequel apparaît Raistlin], c’est clair. Si tu réécoutes bien le couplet, j’ai beaucoup évolué dans la manière de rapper. J’ai beaucoup évolué là dessus dans les 5-6 ans qui sont passés entre ces deux projets. J’ai beaucoup travaillé le flow, l’écriture, la présence sur scène. Ce sont des choses que je continue à travailler, mais ce ne sont pas des choses auxquelles j’ai réfléchi finalement.
CHH : C’est venu avec le travail.
R : C’est une photographie de mon état d’esprit de l’époque.
CHH : Tu dis dans « Grain de Poivre » : « J’hérite de l’histoire du Hip Hop, ses excès, ses succès et ses peurs/Rap pédagogique par respect pour mes prédécesseurs. » Le rapport avec l’histoire de la musique a l’air très important pour toi. Sur la pochette on voit des vinyles, on entend leurs craquements dans les outros…
R : [coupe] Les samples viennent de vinyles, donc forcément… C’est pas rajouté ! [rires]
CHH : Ce rapport à l’histoire, cette nécessité de revenir au passé est importante donc?
R : C’est important parce que je suis dans un état d’esprit où pour moi le Hip Hop est une culture pluridisciplinaire, une histoire. Je ne suis pas juste un rappeur, dans le sens où on peut voir des rappeurs (et je respect leur démarche) qui écrivent, qui rappent, mais qui n’ont pas de lien avec la culture Hip Hop. Pour moi c’est primordial. Mais encore une fois y’a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire. Ma façon à moi de voir les choses c’est celle là : je sample sur du vinyle, c’est vraiment un kiff personnel, un rapport organique avec la musique ; je travaille avec des machines qui ont marqué l’histoire, et je baigne là dedans, et ça me plaît!
CHH : On y gagne quelque chose?
R : Y’a un état d’esprit, quelque chose qui passe. Mais ça veut pas dire que je suis nostalgique d’une époque que j’ai pas connue.
CHH : C’est là où je voulais en venir : t’as pas peur de rester bloqué par une nostalgie qui ressasse le « c’était mieux avant » ?
R : Mais non ! Non, c’est pas du tout ce que je dis. Le rap c’était mieux demain ! C’est clair et net ! Surtout en ce moment où beaucoup de choses se passent dans le rap, notamment dans le rap français. Non pas du tout. J’ai un autre morceau qui s’appelle « Beatmaker » qui n’est pas sur l’EP mais sur mon Soundcloud où je le dis : « Ne m’appelle pas nostalgique ». Parce que finalement, moi ce que je fais aujourd’hui je le faisais déjà y’a 5 ans, y’a peut-être même dix ans dans une autre proportion. Je crois que je fais juste ce que j’aime sans forcément me dire « Ah merde je suis né 10 ans trop tard ». De toute façon ce que tu fais aujourd’hui en 2013, avec les outils de 2013, même si c’est influencé par ce qui se faisait en 1998, ça sonne forcément pas pareil. Après, je veux pas faire du copié collé d’un truc qui a déjà été fait dans les années 90. Et je ne crois pas que ce soit ce que je fais. J’amène ma patte, j’amène ma touche.
CHH : Pour revenir à cette phrase [ndlr : »J’hérite de l’histoire du Hip Hop, ses excès, ses succès et ses peurs/Rap pédagogique par respect pour mes prédécesseurs. »], tu parles aussi des excès du rap. Ça m’a fait penser à Valls qui a réagi aux propos de Nathalie Goulet qui dit : « Mon attention a été attirée sur un certain nombre de ‘chansons’ – si l’on peut dire – de rappeurs tels que 113, Sniper, Salif, Ministère Amer, Smala ou encore Lunatic, dont les paroles sont d’une violence absolument inouïe contre la France, ses autorités civiles et militaires, son drapeau », en ajoutant : « J’estime que leurs paroles sont des appels à la violence et à la haine envers les autorités de police ». Ce à quoi le ministre a répondu qu’il était d’accord et qu’il fallait effectivement réagir. On entend souvent cette rengaine revenir… [ndlr : des infos sur cette histoire ici ]
R : C’est ce que j’allais dire. J’ai juste envie de dire à cette dame de se souvenir des textes de Georges Brassens ou Renaud. Ça n’a pas changé.
CHH : Comment tu te positionnes par rapport à ces propos?
R : Les propos, mais lesquels?
CHH : Ceux de la sénatrice qui dit que dans le rap des rappeurs ont des propos violents. Tu te sens concerné? tu te dis « j’assume les excès du rap »?
R : Non j’en hérite… je les assume pas. Enfin en partie si…
CHH : Tu te sens touché? Tu penses qu’elle a raison?
R : Elle a raison dans le sens où, oui y’a des rappeur qui écrivent des textes violents. Après la violence, la vraie violence… On reste des manieurs d’images, des manieurs de symboles qu’on écrit et qu’on transmet par la parole. Oui, y’a des rappeurs qui écrivent des choses violentes, après la violence moi je la trouve pas forcement là où on la voit habituellement. Oui y’a des rappeurs qui écrivent de la merde, même aujourd’hui, mais la vraie violence elle est pas dans les propos d’un rappeur elle est même pas dans les voitures qui brûlent. La violence elle est économique, elle est sociale, pour moi la vraie violence elle est là.
CHH : Tu te sens donc quand même un peu touché quand on dit ça du rap?
R : Je sais pas si ça me touche, en tout cas cette sénatrice, que j’imagine de droite…
CHH : Oui elle est à l’UMP [ndlr : centre gauche en vérité, Syka fait de la désinformation!]
R : Voila, y’a rien qui m’étonne là dedans. On pourrait reparler de la violence des propos des discours de droite. Bon l’incitation à la violence ne doit pas non plus être glorifiée : inciter les jeunes à la violence n’est pas une solution. Mais faut pas oublier que les jeunes qui écoutent ça, quoi qu’on en dise, ils ont un cerveau et savent faire la part des choses entre la réalité et le côté ‘fictif’ du rap qui n’est qu’une prise de parole. Une prise de parole artistique. Les gens ne sont pas bêtes et savent faire la part des choses.
CHH : Moi ce qui me choque dans cette histoire, c’est que je peux comprendre la nécessité d’un débat sur la liberté d’expression, mais alors pourquoi ne pointer du doigt que le rap? À croire que seuls les rappeurs ont des propos violents.
R : Exactement, on aurait dit la même chose de Renaud dans les années 70, l’époque des blousons noirs. On avait déjà le même discours. En réalité on a déjà des scandales suite à des prises de parole d’artistes qui remontent aussi loin que l’art existe. Après l’époque change. L’art n’est plus récupéré de la même manière qu’il y a 10 ans, 20 ans, même dans le milieu du rap. C’est à prendre en compte aussi.
CHH : Pour revenir à toi, la passion pour la musique est arrivée comment?
R: Je sais pas..
CHH : Depuis toujours?
R : Ouais je pense… Je pense, depuis que je suis gamin. Un jour j’ai eu Michael Jackson dans les oreilles et depuis ce jour là je suis musicien.[rires]
CHH : Et à part le rap, tu parlais de jazz, soul tout à l’heure, tu écoutes beaucoup de musique?
R : J’écoute énormément de musique, principalement tout ce qui est issu de la musique noire américaine. Funk, Soul, Jazz, Jazz Funk. J’écoute aussi de la musique latine, de plus en plus. En fait je suis aussi selecta (pas DJ, hein, mais selecta) à mes heures perdues du coup je me suis mis à écouter des trucs pour faire bouger les gens. À la base j’écoutais des disques pour les sampler. Aujourd’hui je me rends compte qu’il y a vraiment des publics à faire bouger sur les dancefloors avec des choses que j’avais pas l’habitude d’écouter habituellement. Ça m’intéresse grave d’aller chercher ce genre de choses. Soul, jazz, funk, mais aussi rock progressif, jazz rock, des trucs un peu plus durs d’accès. Le genre de trucs quand ta meuf rentre chez toi et que t’écoutes ça, elle te dit « Non mais ça va pas? Qu’est-ce qui y’a? Tu veux qu’on en parle ? » [rires]. Aussi de la musique africaine, de la chanson. Et je suis dans un groupe de rock au clavier. Donc j’écoute énormément de choses hors rap. Même si tout ça vient du fait que j’ai écouté du rap. Je me suis ouvert sur des musiques en m’intéressant à quel mec a samplé quoi et comment. Ça ça m’a ouvert des portes musicales vraiment énormes.
CHH : Tu parles un peu de ton pseudo Raistlin tu dis…
R : [coupe en riant] « Ce gars au nom imprononçable que tu finiras par retenir »
CHH : Ouais, c’est bizarre…
R : Bizarre, je sais pas… Je suis pas le seul rappeur avec un nom imprononçable. Mais je me rends compte que les mecs les retiennent. Finalement. [là l’interviewé lit habilement dans les yeux de l’interviewer] Tu veux savoir d’où ça vient c’est ça?
R : En fait c’est un pseudo que j’ai choisi quand j’ai commencé à écrire, donc à 16-17 ans, adolescent. A la base c’est un personnage d’une série de romans qui m’avait marquée quand j’étais ado. J’ai choisi ce nom et ensuite j’ai dû en assumer les conséquences [rires]. Je les assume pleinement. C’était aussi graphique. J’aimais bien ce que ça rendait graphiquement, R.A.I.S.T.L.I.N. Après les gens ne retenaient pas mon nom, tant pis ! Maintenant j’ai des CDs à leur donner, donc c’est bon, ils pourront le retenir !
CHH : Tu parles de roman, ton pseudo vient d’un roman. Tu lis un peu?
R : Oui, pas qu’un peu, j’ai toujours lu énormément…
CHH : Jusqu’à influencer ton pseudo.
R : Exact. C’est pareil, depuis… Enfin pas depuis que je sais lire, mais disons depuis que j’ai huit ans, depuis que j’ai lu Bilbo le Hobbit. [rires] Mais c’est vrai! depuis je lis tout le temps. J’ai du mal à m’endormir si je bouquine pas.
CHH : Ça influence ta façon d’écrire ?
R : Je sais pas. Je crois pas. Mais ça pourrait. On ne sait pas comment les choses évolueront.
CHH : Des fois on ne s’en rend pas compte non plus ?
R : Ouais peut-être. Ça m’influence dans les réflexions que je peux avoir et les thèmes que je vais développer. Évidemment. Je me nourris des livres que je lis, comme je me nourris des disques que j’écoute quand j’écris ou quand je fais des prods. Mais c’est pas quelque chose que je calcule.
CHH : Pour revenir au projet. Il y a deux feat DFE…
R [coupe] : Ouais DFE, Dragon Fli Empire, qui est un groupe de Calgary au Canada. C’est un MC qui s’appelle Teekay et un Dj qui s’appelle DJ Cosm. Ils sont de très très bons rappeurs autant que beatmakers. Même si là pour le coup, c’est moi qui ai fait l’instru. Par contre c’est DJ Cosm qui fait les scratches. C’est d’ailleurs le seul morceau où ce n’est pas DJ P qui fait les scratches. Sinon ils sont vraiment très bons. Je les ai rencontrés parce qu’on les a fait venir à Lyon et à Chambéry avec l’Antichambre [ndlr: association qui organise des événements Hip Hop sur la région Rhône Alpes]. J’ai donc passé deux-trois jours avec eux à parler, à kiffer. Parce que voilà, pour moi la musique en général et le Hip Hop plus particulièrement c’est une affaire de rencontres. Une affaire de feeling, humain. Je travaille qu’avec des gens, jusqu’à présent, que j’ai rencontrés et avec qui j’ai accroché, aussi bien humainement qu’artistiquement. Comme DFE, comme je vais être amené à travailler avec des mecs de Brooklyn : Rabbi Darkside, Tah Phrum Duh Bush.
CHH : Et le deuxième feat : Nemo Nebbia.
R : Voila, bien entendu. Y’aurait dû avoir un feat de Biboosta, mais pour des problèmes de calendrier ça n’a pas pu se faire. Mais y’a un morceau qui devait être sur l’EP avec Biboosta, qui sortira peut-être plus tard. C’était naturel. C’est venu tout de suite.
CHH : T’as prévu de soutenir ce projet sur scène, tu peux nous en dire un peu plus?
R : Si tu veux, la scène c’est mon objectif principal. Je suis vraiment quelqu’un qui aime la scène et qui le fait partager. J’ai mis en place depuis plus de deux ans la formation que j’ai maintenant, avant de faire l’EP. Je l’ai déjà fait sur scène, ça m’a permis d’affiner plein de choses, de travailler d’une meilleure manière pour ce disque. Sur scène j’apporte un côté, comme je disais tout à l’heure, un peu « organique ». Faut savoir que sur scène c’est un trio, avec Dj P aux platines, Jay-B qui est au saxo et à la basse, et moi-même qui suis au rap, machines et claviers. On a ce petit trio comme ça, qui fonctionne bien. Qui fait un show un peu… Qui ne se contente pas d’enchaîner simplement les morceaux (même si j’ai rien contre ça et s’il fallait faire un bon gros mic platine je le fais et je kiffe). J’ai envie d’aller vers les gens, j’ai des morceaux instrumentaux, j’aime bien embarquer les gens dans des univers et je défends ça sur scène… Quand tu veux!
CHH : Et le Raistlin d’après son échappée belle, tu y as déjà réfléchi?
R : Est-ce qu’il va atterrir? Je sais pas… En tout cas oui, je suis en train de produire le maxi de Nemo Nebbia « En Direct du Brouillard » qui sortirait courant 2013. Je vais faire de la scène. Pour les projets futurs… Celui-là n’est pas encore sorti ! Mais j’ai déjà des idées ouais. Je voudrais travailler avec un mec sur Lyon, DJ Zajazza, sur un projet commun avec lui et les rappeurs de Brooklyn. Y’a encore rien de fait ni de décidé mais c’est une envie que j’ai. J’aimerais travailler sur un projet abstract, un projet vraiment beatmaker. J’ai des choses que je ne peux pas sortir, expulser avec le projet Raistlin en mode MC. Ça ne s’y prête pas. Ces choses là un jour, c’est pas pressé, mais un jour je les sortirai. Sinon je vais surtout continuer à faire des morceaux, sortir un second EP, un album, continuer à me structurer, à rencontrer des gens.
Vous pouvez écouter Raistlin sur son bandcamp et son soundcloud, et le retrouver sur facebook et twitter. Le projet « Mon Échappée Belle » sera disponible sur son bandcamp à prix libre à partir de mercredi, en attendant vous pouvez écouter et voir le clip du titre extrait de l’EP « Grain de Poivre » sur youtube.
Propos recueillis par Syka pour Cosmic Hip Hop le 24 février 2013, merci à Zemar aka Zeminée pour la tof, et @holyhologram pour la relecture!Comments are closed.