Bobigny Terre Hip Hop 2013
mai 23, 2013 (6 Comments) by Syka

Les mois de février et mars 2013 seront à marquer d’une croix en forme de rap français, le X des X-Men probablement. Pendant cette période il y eu des soirs où il fallut choisir entre C.sen à la maroquinerie ou L’indis, Saké et la Scred à Bobigny. Alors qu’il n’y a pas si longtemps l’amateur de rap fr devait sillonner les lignes de RER pour débusquer le moindre petit concert caché au fin fond de l’Essonne, courir a Montreuil pour ne pas louper les rares et familiales apparitions d’Ali ou la Rumeur en pré tournée au Café la Pêche ou encore se lever à l’aube (relative) pour trainer jusqu’à l’hypercentre voir Casey et Rocé faire des pieds de nez à l’hôtel de ville sous le soleil d’un après midi d’été. Premier trimestre 2013, les concerts s’enchaînent, et il faut choisir entre rap de qualité et rap de qualité, en fonction de l’humeur du soir.

À croire que les temps ont changé.

C’est pendant cette fin d’hiver 2013, dans le bouillonnement d’une myriade d’autres rendez-vous immanquables, que se tenait le festival ‘Bobigny Terre Hip Hop’ au Canal 93. L’année dernière déjà, on avait perçu l’ambition des organisateurs de placer le festival comme un évènement phare de la scène rap d’Ile de France. À l’époque il y’a avait à l’affiche : Rocé (très en forme pour les premières dates de sa tournée des 10 ans de Top départ et qui présentait déjà des titres de Gunz & Rocé), Orelsan, 1995 et un Time Bomb & Friends dont la liste des invités prendrait à elle seule un article entier sur CHH et suffit pour faire revivre, chaque fois qu’on l’évoque, l’impression d’avoir assisté un morceau d’histoire du Rap français suspendu dans une bulle intemporelle au dessus de Bobigny.

Pour cette année 2013 la liste des invités s’allonge encore, résolument rap français et sans appel :  Bobigny Terre Hip Hop version 3 est à ne pas manquer. Au menu : Ladea, Disiz, L’Indis, La Scred Connexion, Kabal, Casey, Vîrus, Némir, Médine et même Youssoupha et la Section d’Assaut! Pour tous les goût, ou presque. On regretta peut-être un plateau plus ‘actuel’, dans sa version 93 (Kaaris/Despo/Sefyu) ou intra-muros (L’Entourage), au choix (allez, un de chaque, tant qu’à faire).

Cosmic Hip Hop, et sa galaxie mouvante de reporters internationaux, en fans inconditionnels, en amoureux du Canal 93 et en partenaires consciencieux, ne pouvait manquer d’avoir quelques agents infiltrés sur place.

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’habiter l’île de France ou qui n’ont pas pu venir, avec certes quelques mois de retard mais mieux vaut tard que jamais, nous allons essayer de vous faire revivre des morceaux du festival, ‘comme si vous y étiez’.

Commençons par le commencement et la soirée d’inauguration du vendredi 22 février. Ce soir c’est : Vîrus, Dooz Kawa et Youssoupha.

La semaine avait déjà été chargée, Hiphopement parlant et hors festival, avec Rocé la veille au divan du monde et Casey l’avant veille à la maroquinerie. Mais rien qui puisse effrayer l’amateur de rap fr pour autant. Sans broncher il enfile son bonnet (ou ajuste sa casquette new era s’il a des penchants US un peu trop prononcés), fourre quelques canettes dans son discret backpack et file rider la ligne 5 jusqu’au terminus.

Après l’inévitable petite balade digestive nécessaire pour atteindre le lieu des festivités et finir les canettes, première constatation : il y a du monde. Pour qui connait le Canal 93, si les concerts raps ont toujours leur public, voir la salle afficher complet et une file d’attente si longue, ce n’est pas chose courante. Premiers symptômes de l’effet papillon / Youssoupha.

A l’intérieur nous sommes accueillis chaleureusement par les sourires de l’équipe du festival. «Ah oui Cosmic Hip Hop! Oui c’est cool que vous soyez là! Vous avez des interviews de prévu ?» petit blanc de 2 secondes qui se veut innocent, mais qui au fond cri «Oh là! Des interviews!? Ça aurait voulu dire préparer des choses, emmener du matériel, travailler? … Ouai non ça on n’a pas fait. On reste des auditeurs de rap fr plutôt fainéants.» Et qu’on masque par un timide «euh oui… enfin non, on pensait juste couvrir le concert en tant que public» —entendre : «on voulait juste se caler au fond pour écouter des artistes qu’on kiffe en buvant des bières».

On rentre dans la salle et là, deuxième effet kisskool de l’effet papillon/Youssoupha. On s’y  attendait un peu, oui, mais comme mettre les pieds dans l’eau en Bretagne alors qu’il fait beau, ça surprend toujours. La salle est remplie par un public jeune, très jeune. Difficile moment où les effets du temps qui passe viennent se coller sous ton nez en riant, accrochés à leur smartphone, te gratifiant au passage d’une douce claque sur la nuque. On se surprend alors à chercher désespérément du coin de l’œil un ingé son, ou ingé lumière, ou ingé ce qu’il veut, du moment qu’il porte cette barbe mal rasée de plusieurs jours qui est seule capable de nous rassurer : ‘non, on est pas les plus vieux de la soirée, non!’. Après en avoir attrapé du regard un chevelu entrain de courir entre les tables de mixages et la scène, on se détend un peu et le concert peu commencer.

Ce soir c’est Vîrus qui ouvre le bal. Ou plutôt Bachir son DJ, que les afficionados de l’Abcdrduson connaissent bien à travers ses mixtapes. Ce dernier envoi quelques morceaux d’introduction, avant que le rappeur de Rouen ne s’avance sur la scène. Les lumières sont éteintes, l’ambiance est sombre. Le rappeur commence sa première partie comme un soldat monte au frond.

Les 5 premières minutes, qui permettent habituellement au public de prendre ses marques avec l’artiste qu’il ne connait pas, ne suffiront pas pour détendre l’atmosphère. C’est plusieurs années de déceptions qu’il faudra, avant que les mots de Vîrus ne trouvent écho dans l’esprits des jeunes, qui, accrochés aux barrières devant la scène pour ne pas perdre leur place privilégiée au premier rang, ont assisté médusé au discours virologique.

L’effet est impressionnant. Mis à part Pand’Or qui était aussi dans la fosse à quelques rangs de nous, et nous, personne dans le public pourtant important, ne chantera. À peine si la fin de chaque titre sera ponctuée par quelques timides applaudissement.
Vîrus lui ne bronchera pas. Yeux dans les yeux avec un auditoire proche de l’effroi, il dicte avec une clarté prophétique ses sombres constats. Vous étiez venu écouter le « rap d’amour » de Youssoupha? Aucun problème, mais d’abord goûtez à la douche froide et admirez le tableau de la réalité mise à nue, triste, sans pitié ni charme, crasseuse et vulgaire, dressé avec talent par Vîrus. Youssouha – Vîrus, amitié et amertume, le titre de Rocé illustré en un concert.

«L’amertume est un café, un sale goût amer mais ça revigore. L’amitié? c’est juste le petit sucre qui l’accompagne.»

Le mc rouennais jouera son rôle d’exhausteur d’amertume de A à Z. Sans répit. Il n’y aura pas de virgule publicitaire pour acheter le public : «Vous voulez voir Youssoupha?? alors quand je dis YOUSS, vous dites SOUPHA!! YOUSS!!! SOUPHAAAAA! YOUSS! SOUPHAAAA!!». Non, rien de tout ça. Difficile de ne pas croire le hold up prémédité (réponse dans une prochaine interview?). Si tel est le cas, le paris est osé. Et réussi. La rencontre entre le public de Youssoupha et Vîrus c’est la rencontre du 13eme type. Entre l’innocence et la vie. Mises à part quelques exceptions télévisuelles, quel artiste pourra se vanter de chanter face à l’objet qu’il critique? Un peu comme si les NTM étaient appelés à animer la soirée d’anniversaire du Conseil Supérieur de l’Audiovisuelle en chantant «Nique le CSA».

Là Vîrus se trouve face au monde dans lequel il a attérit par hasard et qui n’a pas réussi à lui offrir sa place, ces «soixantes millions de Jocondes» qui l’entourent. Un public venu écouter Youssoupha chanter l’amour pour son fils, quand Vîrus lui ne trouve plus l’amour qu’«avec une slave qui s’lave avec des lingettes». Le fossé est large et profond.
Combien parmi les spectateurs finiront en couple idéal, à choisir la même table de cuisine blanche chez Ikéa, à rire des mêmes blagues de Gad Elmaleh dans l’avion, des même blagues sur les beaux-parents de Jamel Debbouze? «L’honneur est pour moi de venir niquer l’ambiance» sourit le chanteur. La phrase n’aura jamais résonné avec autant de véracité. Quelques morceaux après et deux ou trois grimaces des spectateurs plus tard («désolé pour ceux du rang de devant là, je vous ai vu faire ‘aaaah’», s’excusera le chanteur avant de partir), et le contrat est rempli, Vîrus s’en va.

Puis c’est à Dooz Kawa, accompagné par Le Bon Nob, de prendre la suite. Malheureusement pour eux ils montent sur scène au moment où d’importants appels téléphoniques et autres contraintes entrepreneuriales de la plus haute importance nous tiendrons éloignés des enceintes et nous empêcherons de voir le show en entier. On en verra néanmoins suffisamment pour souligner la très bonne prestation du Bon Nob et pour pouvoir dire que lui et Dooz Kawa, avec un rap musical et entraînant, offrirons une première partie plus traditionnelle qui soulagera un peu le public et le chauffera juste ce qu’il faut avant Youssoupha.

Dans la salle d’autres têtes connues sont venues se mêler à la foule, et en plus de Pand’Or, Nakk et L’Indis, à domicile, ont grossi les rangs des spectateurs.

Enfin la rock star de la soirée arrive. Rodé, au top de son succès, en plein Geste Tour.
Pour ceux qui suivent l’artiste sur twitter (@youssouphamusik) les torrents de RT qu’il propose à la fin de ses concerts retranscrivent assez bien l’ambiance de la salle. Entre les «XXX vous êtes les boss!» (remplacer XXX par la ville du concert, donc ici Bobigny), les moments où «On va gester!» et où le public joue le jeux et danse en suivant les consignes du maître de cérémonie, le show est à la hauteur et à la couleur de l’album : accessible et travaillé au millimètre.

Backé par S’Pi et toute salle, Youssoupha joue son rôle d’idole des jeunes à la perfection. Il a clairement dépassé le statut de rappeur « traditionnel », pour se muter doucement en chanteur « pop ». Il s’offre le droit de prendre au hasard des téléphones dans la salle pour parler à l’ami(e) appelé au bout du fil et qui n’a pas pu venir, en pointant du doigt un à un les ados du public : «Comment tu t’appelles toi? Myriam? et bien Myriam on se connaît! Et toi là bas? Ludo? et ben Ludo, on se connait!»

Autre moment agréable du concert, alors que la tête penchée sur mon smartphone j’essaye de combler l’écart générationnel en tweetant au plus juste pour montrer aux jeunes qu’on reste dans le coup, mon esprit se met à reprendre machinalement deux ou trois mesures complètes, en bougeant la nuque énergiquement. Au moment où dans ma tête se forme l’idée : «c’est vrai qu’il a fait des trucs lourds Youssoupha» je réalise (toujours dans ma tête et sans lever les yeux du smartphone) : «mais merde « j’vais faire couler ton sang sur tout l’or que j’t’ai offert » c’est pas Youssoupha c’est…», le tweet et vite oublié, le bras levé en l’air, «DESPO»!

Et en effet Youssoupha, dans son admirable capacité à réunir derrière lui nombreux rap différents, a eu l’excellent idée d’inviter Despo Rutti sur scène ainsi que Mac Tyer. Duo d’autant plus apprécié qu’inatendu, compte tenu de l’absence d’artistes de ce style à la programmation. Porté par le plaisir de voir les deux compères sur scène et par les propos d’un Youssoupha qui raconte qu’il ne pouvait évidemment pas venir ici, à Bobigny, dans le 93, sans inviter les tauliers du département, on attend avec impatience la suite. Surtout qu’on les a vu dans le public ce soir là. Les premiers (et les seuls) qui viennent à l’esprit lorsqu’on associe Bobigny, 93 et rap. Les vrais tauliers du coin, la Boboche connexion, Nakk et les 10! Mais non. Nakk restera accoudé au bar et Youssoupha se contentera de brièvement les citer à la fin d’un longue liste d’artiste du 93. Déception. Merde Youssouf, là t’as manqué de respect aux patrons! Enfin, on se contentera de Despo et du Général et du Show « Built for TV ».

Le concert se terminera dans l’ambiance bonne enfant instaurée par Youssoupha qui, malgré le bémole ‘manque de respect à Narcisse’, offrira un show Staracadémien distrayant.

Une soirée au final bien plus qu’intéressante, pleine de très bonne musique et où le niveau sur scène a été, au pire, juste « correct », et pendant laquelle le rap français a su jouer à merveille de sa complexité pour surprendre. On ne peut qu’applaudir les organisateurs pour cette prise de risque de coupler Youssoupha et Vîrus ; en esperant que peut-être, quelques uns parmi les spectateurs, après avoir gesté comme des foufous, sur le chemin du retours à la maison parental, entre deux status facebook « trooooop fort Youssoupha ce soir on a gestéééé!! lol ac ma puce 4 ever lé bestas kiss il te connéééé tro choo! a boboche on é les booosss!!!!!! » , s’arreteront un instant pour repenser à la soirée en essayant de comprendre «Mais pourquoi l’autre au début il nous a dit de nous inquiéter le jour où on l’entendra plus?»

Syka

6 Responses

  1. oui, par contre tu as vu la perf de son backeur et les gens du public sont bien décrits aussi, lol merci pour cette rupture continuum espace temps. Pour moi c’est un article pour les copains parisiens (mon comm’ va t’il apparaitre ou etre censuré ?) la discussion est ouverte…

  2. Je sais pas trop quoi répondre. T’as sûrement raison pour ‘les copains parisiens’. Tes coms sont visibles. La rupture du continuum espace, Ouai peut être, franchement je n’ai vraiment pas écouté Dooz Kawa et je connais pas du tout son travail, je peux pas raconter bien plus que les deux trois choses ressenti en traversant la salle. Et voir que le public est plus réceptif et que le backeur a une énergie plaisante, c’est possible, sans complot de skyrock.

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mai 23, 2013 (6 Comments) by Syka

Les mois de février et mars 2013 seront à marquer d’une croix en forme de rap français, le X des X-Men probablement. Pendant cette période il y eu des soirs où il fallut choisir entre C.sen à la maroquinerie ou L’indis, Saké et la Scred à Bobigny. Alors qu’il n’y a pas si longtemps l’amateur de rap fr devait sillonner les lignes de RER pour débusquer le moindre petit concert caché au fin fond de l’Essonne, courir a Montreuil pour ne pas louper les rares et familiales apparitions d’Ali ou la Rumeur en pré tournée au Café la Pêche ou encore se lever à l’aube (relative) pour trainer jusqu’à l’hypercentre voir Casey et Rocé faire des pieds de nez à l’hôtel de ville sous le soleil d’un après midi d’été. Premier trimestre 2013, les concerts s’enchaînent, et il faut choisir entre rap de qualité et rap de qualité, en fonction de l’humeur du soir.

À croire que les temps ont changé.

C’est pendant cette fin d’hiver 2013, dans le bouillonnement d’une myriade d’autres rendez-vous immanquables, que se tenait le festival ‘Bobigny Terre Hip Hop’ au Canal 93. L’année dernière déjà, on avait perçu l’ambition des organisateurs de placer le festival comme un évènement phare de la scène rap d’Ile de France. À l’époque il y’a avait à l’affiche : Rocé (très en forme pour les premières dates de sa tournée des 10 ans de Top départ et qui présentait déjà des titres de Gunz & Rocé), Orelsan, 1995 et un Time Bomb & Friends dont la liste des invités prendrait à elle seule un article entier sur CHH et suffit pour faire revivre, chaque fois qu’on l’évoque, l’impression d’avoir assisté un morceau d’histoire du Rap français suspendu dans une bulle intemporelle au dessus de Bobigny.

Pour cette année 2013 la liste des invités s’allonge encore, résolument rap français et sans appel :  Bobigny Terre Hip Hop version 3 est à ne pas manquer. Au menu : Ladea, Disiz, L’Indis, La Scred Connexion, Kabal, Casey, Vîrus, Némir, Médine et même Youssoupha et la Section d’Assaut! Pour tous les goût, ou presque. On regretta peut-être un plateau plus ‘actuel’, dans sa version 93 (Kaaris/Despo/Sefyu) ou intra-muros (L’Entourage), au choix (allez, un de chaque, tant qu’à faire).

Cosmic Hip Hop, et sa galaxie mouvante de reporters internationaux, en fans inconditionnels, en amoureux du Canal 93 et en partenaires consciencieux, ne pouvait manquer d’avoir quelques agents infiltrés sur place.

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’habiter l’île de France ou qui n’ont pas pu venir, avec certes quelques mois de retard mais mieux vaut tard que jamais, nous allons essayer de vous faire revivre des morceaux du festival, ‘comme si vous y étiez’.

Commençons par le commencement et la soirée d’inauguration du vendredi 22 février. Ce soir c’est : Vîrus, Dooz Kawa et Youssoupha.

La semaine avait déjà été chargée, Hiphopement parlant et hors festival, avec Rocé la veille au divan du monde et Casey l’avant veille à la maroquinerie. Mais rien qui puisse effrayer l’amateur de rap fr pour autant. Sans broncher il enfile son bonnet (ou ajuste sa casquette new era s’il a des penchants US un peu trop prononcés), fourre quelques canettes dans son discret backpack et file rider la ligne 5 jusqu’au terminus.

Après l’inévitable petite balade digestive nécessaire pour atteindre le lieu des festivités et finir les canettes, première constatation : il y a du monde. Pour qui connait le Canal 93, si les concerts raps ont toujours leur public, voir la salle afficher complet et une file d’attente si longue, ce n’est pas chose courante. Premiers symptômes de l’effet papillon / Youssoupha.

A l’intérieur nous sommes accueillis chaleureusement par les sourires de l’équipe du festival. «Ah oui Cosmic Hip Hop! Oui c’est cool que vous soyez là! Vous avez des interviews de prévu ?» petit blanc de 2 secondes qui se veut innocent, mais qui au fond cri «Oh là! Des interviews!? Ça aurait voulu dire préparer des choses, emmener du matériel, travailler? … Ouai non ça on n’a pas fait. On reste des auditeurs de rap fr plutôt fainéants.» Et qu’on masque par un timide «euh oui… enfin non, on pensait juste couvrir le concert en tant que public» —entendre : «on voulait juste se caler au fond pour écouter des artistes qu’on kiffe en buvant des bières».

On rentre dans la salle et là, deuxième effet kisskool de l’effet papillon/Youssoupha. On s’y  attendait un peu, oui, mais comme mettre les pieds dans l’eau en Bretagne alors qu’il fait beau, ça surprend toujours. La salle est remplie par un public jeune, très jeune. Difficile moment où les effets du temps qui passe viennent se coller sous ton nez en riant, accrochés à leur smartphone, te gratifiant au passage d’une douce claque sur la nuque. On se surprend alors à chercher désespérément du coin de l’œil un ingé son, ou ingé lumière, ou ingé ce qu’il veut, du moment qu’il porte cette barbe mal rasée de plusieurs jours qui est seule capable de nous rassurer : ‘non, on est pas les plus vieux de la soirée, non!’. Après en avoir attrapé du regard un chevelu entrain de courir entre les tables de mixages et la scène, on se détend un peu et le concert peu commencer.

Ce soir c’est Vîrus qui ouvre le bal. Ou plutôt Bachir son DJ, que les afficionados de l’Abcdrduson connaissent bien à travers ses mixtapes. Ce dernier envoi quelques morceaux d’introduction, avant que le rappeur de Rouen ne s’avance sur la scène. Les lumières sont éteintes, l’ambiance est sombre. Le rappeur commence sa première partie comme un soldat monte au frond.

Les 5 premières minutes, qui permettent habituellement au public de prendre ses marques avec l’artiste qu’il ne connait pas, ne suffiront pas pour détendre l’atmosphère. C’est plusieurs années de déceptions qu’il faudra, avant que les mots de Vîrus ne trouvent écho dans l’esprits des jeunes, qui, accrochés aux barrières devant la scène pour ne pas perdre leur place privilégiée au premier rang, ont assisté médusé au discours virologique.

L’effet est impressionnant. Mis à part Pand’Or qui était aussi dans la fosse à quelques rangs de nous, et nous, personne dans le public pourtant important, ne chantera. À peine si la fin de chaque titre sera ponctuée par quelques timides applaudissement.
Vîrus lui ne bronchera pas. Yeux dans les yeux avec un auditoire proche de l’effroi, il dicte avec une clarté prophétique ses sombres constats. Vous étiez venu écouter le « rap d’amour » de Youssoupha? Aucun problème, mais d’abord goûtez à la douche froide et admirez le tableau de la réalité mise à nue, triste, sans pitié ni charme, crasseuse et vulgaire, dressé avec talent par Vîrus. Youssouha – Vîrus, amitié et amertume, le titre de Rocé illustré en un concert.

«L’amertume est un café, un sale goût amer mais ça revigore. L’amitié? c’est juste le petit sucre qui l’accompagne.»

Le mc rouennais jouera son rôle d’exhausteur d’amertume de A à Z. Sans répit. Il n’y aura pas de virgule publicitaire pour acheter le public : «Vous voulez voir Youssoupha?? alors quand je dis YOUSS, vous dites SOUPHA!! YOUSS!!! SOUPHAAAAA! YOUSS! SOUPHAAAA!!». Non, rien de tout ça. Difficile de ne pas croire le hold up prémédité (réponse dans une prochaine interview?). Si tel est le cas, le paris est osé. Et réussi. La rencontre entre le public de Youssoupha et Vîrus c’est la rencontre du 13eme type. Entre l’innocence et la vie. Mises à part quelques exceptions télévisuelles, quel artiste pourra se vanter de chanter face à l’objet qu’il critique? Un peu comme si les NTM étaient appelés à animer la soirée d’anniversaire du Conseil Supérieur de l’Audiovisuelle en chantant «Nique le CSA».

Là Vîrus se trouve face au monde dans lequel il a attérit par hasard et qui n’a pas réussi à lui offrir sa place, ces «soixantes millions de Jocondes» qui l’entourent. Un public venu écouter Youssoupha chanter l’amour pour son fils, quand Vîrus lui ne trouve plus l’amour qu’«avec une slave qui s’lave avec des lingettes». Le fossé est large et profond.
Combien parmi les spectateurs finiront en couple idéal, à choisir la même table de cuisine blanche chez Ikéa, à rire des mêmes blagues de Gad Elmaleh dans l’avion, des même blagues sur les beaux-parents de Jamel Debbouze? «L’honneur est pour moi de venir niquer l’ambiance» sourit le chanteur. La phrase n’aura jamais résonné avec autant de véracité. Quelques morceaux après et deux ou trois grimaces des spectateurs plus tard («désolé pour ceux du rang de devant là, je vous ai vu faire ‘aaaah’», s’excusera le chanteur avant de partir), et le contrat est rempli, Vîrus s’en va.

Puis c’est à Dooz Kawa, accompagné par Le Bon Nob, de prendre la suite. Malheureusement pour eux ils montent sur scène au moment où d’importants appels téléphoniques et autres contraintes entrepreneuriales de la plus haute importance nous tiendrons éloignés des enceintes et nous empêcherons de voir le show en entier. On en verra néanmoins suffisamment pour souligner la très bonne prestation du Bon Nob et pour pouvoir dire que lui et Dooz Kawa, avec un rap musical et entraînant, offrirons une première partie plus traditionnelle qui soulagera un peu le public et le chauffera juste ce qu’il faut avant Youssoupha.

Dans la salle d’autres têtes connues sont venues se mêler à la foule, et en plus de Pand’Or, Nakk et L’Indis, à domicile, ont grossi les rangs des spectateurs.

Enfin la rock star de la soirée arrive. Rodé, au top de son succès, en plein Geste Tour.
Pour ceux qui suivent l’artiste sur twitter (@youssouphamusik) les torrents de RT qu’il propose à la fin de ses concerts retranscrivent assez bien l’ambiance de la salle. Entre les «XXX vous êtes les boss!» (remplacer XXX par la ville du concert, donc ici Bobigny), les moments où «On va gester!» et où le public joue le jeux et danse en suivant les consignes du maître de cérémonie, le show est à la hauteur et à la couleur de l’album : accessible et travaillé au millimètre.

Backé par S’Pi et toute salle, Youssoupha joue son rôle d’idole des jeunes à la perfection. Il a clairement dépassé le statut de rappeur « traditionnel », pour se muter doucement en chanteur « pop ». Il s’offre le droit de prendre au hasard des téléphones dans la salle pour parler à l’ami(e) appelé au bout du fil et qui n’a pas pu venir, en pointant du doigt un à un les ados du public : «Comment tu t’appelles toi? Myriam? et bien Myriam on se connaît! Et toi là bas? Ludo? et ben Ludo, on se connait!»

Autre moment agréable du concert, alors que la tête penchée sur mon smartphone j’essaye de combler l’écart générationnel en tweetant au plus juste pour montrer aux jeunes qu’on reste dans le coup, mon esprit se met à reprendre machinalement deux ou trois mesures complètes, en bougeant la nuque énergiquement. Au moment où dans ma tête se forme l’idée : «c’est vrai qu’il a fait des trucs lourds Youssoupha» je réalise (toujours dans ma tête et sans lever les yeux du smartphone) : «mais merde « j’vais faire couler ton sang sur tout l’or que j’t’ai offert » c’est pas Youssoupha c’est…», le tweet et vite oublié, le bras levé en l’air, «DESPO»!

Et en effet Youssoupha, dans son admirable capacité à réunir derrière lui nombreux rap différents, a eu l’excellent idée d’inviter Despo Rutti sur scène ainsi que Mac Tyer. Duo d’autant plus apprécié qu’inatendu, compte tenu de l’absence d’artistes de ce style à la programmation. Porté par le plaisir de voir les deux compères sur scène et par les propos d’un Youssoupha qui raconte qu’il ne pouvait évidemment pas venir ici, à Bobigny, dans le 93, sans inviter les tauliers du département, on attend avec impatience la suite. Surtout qu’on les a vu dans le public ce soir là. Les premiers (et les seuls) qui viennent à l’esprit lorsqu’on associe Bobigny, 93 et rap. Les vrais tauliers du coin, la Boboche connexion, Nakk et les 10! Mais non. Nakk restera accoudé au bar et Youssoupha se contentera de brièvement les citer à la fin d’un longue liste d’artiste du 93. Déception. Merde Youssouf, là t’as manqué de respect aux patrons! Enfin, on se contentera de Despo et du Général et du Show « Built for TV ».

Le concert se terminera dans l’ambiance bonne enfant instaurée par Youssoupha qui, malgré le bémole ‘manque de respect à Narcisse’, offrira un show Staracadémien distrayant.

Une soirée au final bien plus qu’intéressante, pleine de très bonne musique et où le niveau sur scène a été, au pire, juste « correct », et pendant laquelle le rap français a su jouer à merveille de sa complexité pour surprendre. On ne peut qu’applaudir les organisateurs pour cette prise de risque de coupler Youssoupha et Vîrus ; en esperant que peut-être, quelques uns parmi les spectateurs, après avoir gesté comme des foufous, sur le chemin du retours à la maison parental, entre deux status facebook « trooooop fort Youssoupha ce soir on a gestéééé!! lol ac ma puce 4 ever lé bestas kiss il te connéééé tro choo! a boboche on é les booosss!!!!!! » , s’arreteront un instant pour repenser à la soirée en essayant de comprendre «Mais pourquoi l’autre au début il nous a dit de nous inquiéter le jour où on l’entendra plus?»

Syka

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  1. oui, par contre tu as vu la perf de son backeur et les gens du public sont bien décrits aussi, lol merci pour cette rupture continuum espace temps. Pour moi c’est un article pour les copains parisiens (mon comm’ va t’il apparaitre ou etre censuré ?) la discussion est ouverte…

  2. Je sais pas trop quoi répondre. T’as sûrement raison pour ‘les copains parisiens’. Tes coms sont visibles. La rupture du continuum espace, Ouai peut être, franchement je n’ai vraiment pas écouté Dooz Kawa et je connais pas du tout son travail, je peux pas raconter bien plus que les deux trois choses ressenti en traversant la salle. Et voir que le public est plus réceptif et que le backeur a une énergie plaisante, c’est possible, sans complot de skyrock.

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